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Critique de colka


La lecture de Mrs Dalloway mérite qu'une fois le livre refermé, on s'accorde un temps de repos, de réflexion, histoire de mettre un peu d'ordre dans ce feu d'artifice d'impressions, de sensations, de mieux percevoir les principaux personnages qui se détachent de ce théâtre d'ombre et de lumière. Personnages d'une grande complexité : Mrs Dalloway, membre de la haute-bourgeoisie londonienne, Peter Walsh, son ancien amoureux revenu des Indes, Septimus, rescapé de la Première guerre mondiale, en train de sombrer dans la folie. En arrière-fond, des personnages qui ne font que passer : Sally Selton, une amie ; l'époux de Mrs Dalloway, Richard ; sa fille Elisabeth et bien d'autres encore.
Mais derrière ce désordre apparent, se cache paradoxalement, un ordre rigoureux avec une unité de lieu : Londres ; une unité de temps, une journée, rythmée par les horloges de la ville, notamment Big Ben. Et l'auteure joue avec tout cela. Elle nous invite tour à tour à suivre les déambulations de ses personnages en nous donnant à voir le spectacle de la vie londonienne, à toutes les heures de la journée, tout en plongeant avec une fluidité d'écriture extraordinaire dans leurs pensées les plus intimes.
Ce qui m'a frappé dans cette longue balade londonienne, c'est la multiplicité des regards, celui de Clarissa et de Peter et bien d'autres encore, ce qui donne à chaque détail perçu une coloration différente. Autre élément remarquable, l'art de saisir l'instant dans sa richesse et sa diversité sur le plan sonore et visuel. le roman fourmille de ces petits tableaux impressionnistes qui permettent de voir, d'entendre, de sentir, le bruissement ou le foisonnement de la vie quotidienne dans ce qu'elle a à la fois de plus banal et en même temps de plus précieux. Saisir l'instant présent dans son étonnante diversité mais aussi suspendre le temps, le distordre, pour mieux s'attarder sur un spectacle éphémère est un autre aspect du talent de l'auteure. Cela donne lieu à de très beaux "arrêts sur images" comme lorsqu'elle évoque des nuages dans le ciel, un mystérieux carrosse près de Westminster ou un avion dans le ciel. de très belles évocations qui déclenchent l'imaginaire de tous ceux qui regardent et le nôtre.
Cet art quasiment cinématographique de la description laisse souvent la place à celui du monologue intérieur chez les trois principaux personnages. Je dois avouer que ce qui m'a le plus intéressée n'est pas la relation amoureuse qui a existé ou existe encore entre Peter et Clarissa. Ce n'est pas, à mes yeux du moins, la partie la plus réussie. Ce qui m'a passionnée c'est d'analyser quel rapport ces trois personnages entretenaient avec l'auteure dont on connaît la mort tragique.
Ce qui frappe chez Clarissa, c'est la fragmentation du moi : d'un côté la grande bourgeoise, très à l'aise dans son rôle social, de l'autre un moi intime beaucoup plus torturé, partagé entre la célébration du moment présent et le doute sur soi-même. Comment ne pas percevoir dans cette dichotomie l'écho des troubles bipolaires dont Virginia Woolf a souffert toute sa vie... Très intéressant également est le regard qu'elle porte sur Peter Walsh, un double très critique dont elle redoute le jugement. Ce qui, à mes yeux, fait ,également de ce dernier personnage un double littéraire de l'auteure. Celui de son personnage social surtout, car c'est lui qui porte un regard sarcastique impitoyable sur la gentry londonienne, société que connaît bien Virginia Woolf. La série de portraits délicieusement "méchants" qu'il brosse lors de la réception de Clarissa, est à ce titre un vrai régal !
Et quid du troisième personnage, Septimus ? J'avoue que c'est celui auquel j'ai le moins accroché, même si ses délires visuels et sonores étaient déjà ceux de Virginia Woolf. Et l'évocation de son suicide m'a paru plus relever d'une interrogation métaphysique que d'une angoisse existentielle. le souvenir que je garderai de Mrs Dalloway est donc celui d'un personnage plus tourmenté que tragique.
Je terminerai cette chronique en soulignant combien l'écriture de ce roman m'a séduite et permis de dépasser la complexité de sa construction.
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