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Critique de Bouteyalamer


Dans cet essai qui transpose des conférences données à un auditoire féminin, VW parle des femmes et du roman, et plus précisément de la sous-représentation des femmes comme auteures. On connaît la position dont elle joue avec trois alias (« Appelez-moi Mary Beton, Mary Seton, Mary Carmichael ou de tout autre nom qui vous plaira » [p 9]) : il faut à une femme pour écrire une chambre et de l'argent. Cette exigence est précisément datée : son alias Marie Beton, morte d'une chute de cheval le jour de l'accès des femmes au droit de vote, lui a légué une rente de 500 livres, rente qui est plus précieuse à l'auteure que son droit civique.

Sur quoi vient à l'esprit que plusieurs nécessiteux ont été de grands écrivains. Mais notre auteure ajoute un argument imparable : à la différence des hommes, les femmes ont été débordées par les tâches domestiques, et, désirant écrire, n'ont pas été préparées, puis, écrivant, ont été découragées, enfermées ou moquées. Fait avéré du temps de Shakespeare, dont VW imagine la soeur, fait moins certain au dix-neuvième siècle où elle cite sa trinité (Jane Austen, George Eliot, Emily Brontë), et fait douteux pour ses contemporaines. VW insiste sur son premier argument : neuf au moins des douze écrivains de son panthéon contemporain ont été universitaires et riches — l'écriture serait une spécialité académique en Angleterre où les enseignants seraient bien payés, mais elle n'a pas cette image en France. C'est oublier un troisième obstacle, la prise de risque, qui a été surmonté par des hommes et des femmes du dix-huitième au vingtième siècle. Citons en France Olympe de Gouges, George Sand à ses débuts, ou Alexandra David Neal qui mendiait au Tibet quand VW donnait ses conférences à Oxbridge.

Bref, VW, issue d'un milieu riche et brillant, n'est guère convaincante comme féministe et — disons — faible sur le plan politique. C'est pourquoi sans doute la quatrième de couverture décrit « Une chambre à soi » par un oxymore : « Un délicieux pamphlet ». La leçon à retenir par une auteure contemporaine — à supposer qu'elle en ait besoin — est celle de Mary Carmichael, l'alias numéro trois : tenir comme stérile le débat sur le passé et ne pas écrire en complément ni par opposition aux hommes, même si sa mise en garde confine au masochisme : « Le poids, la démarche, l'allure d'un esprit masculin, sont par trop différents du poids, de la démarche, de l'allure de l'esprit d'une femme pour qu'elle puisse y prendre quelque chose de substantiel. le singe, ici, est par trop éloigné de son modèle pour persévérer dans ses efforts » (p 113).

Il faut lire « Une chambre à soi » pour d'autres plaisirs. Pour la culture, l'intelligence et la finesse de l'auteure ; pour son humour et son sens de l'observation ; pour les surprises de son raisonnement et ses coqs à l'âne : « Considérons, tout d'abord, les faits. Il faut neuf mois avant que naisse un bébé. Puis il y a la naissance du bébé, puis trois ou quatre mois passés à nourrir le bébé. Après le sevrage on peut compter sur cinq années passées à jouer avec le bébé. Car il semble qu'on ne puisse pas laisser les enfants se débrouiller seul dans les rues » (p 34). « Il y avait ces affables personnages à qui les rues servent de club, qui saluent des hommes dans des charrettes et donnent des renseignements sans y être priés. Il y avait aussi des enterrements, devant lesquels les hommes, se souvenant soudain du provisoire de leur propre corps, se découvraient. Puis un monsieur, des plus distingués, descendit lentement les marches d'une maison et s'arrêta pour éviter d'entrer en collision avec une dame tumultueuse qui, d'une façon ou d'une autre, avait acquis un splendide manteau de fourrure et un bouquet de violettes de Parme ». Et enfin, pour la colère qu'elle laisse tout de même pointer : « Je pensais à ce vieux monsieur, mort maintenant, mais qui était, je crois, évêque : il déclarait qu'il était impossible qu'une femme ait eu dans le passé, ait dans le présent ou dans l'avenir le génie de Shakespeare. Il adressait aux journaux des articles sur ce sujet. C'est lui aussi qui déclara à une dame, qui s'était renseignée auprès de lui, qu'en vérité les chats n'allaient pas au ciel bien que, ajouta-t-il, ils aient une certaine forme d'âme. Quelle somme de réflexions ces vieux messieurs ont dépensée pour notre salut ? Comme les bornes de l'ignorance ont reculé à leur approche ! Les chats ne vont pas au ciel. Les femmes ne peuvent écrire les pièces de Shakespeare » (p 70).
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