Someone Please Have Sex With Me

Il s'agit d'un recueil regroupant 5 récits réalisés par Gina Wymbrant qui a tout fait : scénarios, dessins, encrages, couleurs, lettrage. Ce tome est initialement paru en 2016, regroupant des histoires réalisées sur une période 4 ans. Ce comics est dans un petit format, à peu près un quart d'un format comics traditionnel.

One less loney girl - Gina est une jeune femme hispanique (moins de 20 ans) qui vit chez ses parents, ces derniers n'apparaissant jamais dans l'histoire. La première séquence évoque vaguement une autre étudiante. Elles discutent ensemble de Justin Bieber, la copine de Gina essayant de la convaincre à quel point il est cool. Gina renifle de mépris, mais la scène suivante dans sa chambre montre que tout sa décoration constitue une déclaration d'adoration à cette idole. Histoire 2 : Tiger beat exclusive - Gina est toujours aussi désespérée de réussir à attirer l'attention d'un bel homme, et toujours autant en pamoison devant Justin Bieber. Une après-midi désoeuvrée et solitaire, sa bonne fée lui apparaît sous les traits de Kim Kardashian qui l'emmène faire du shopping, puis participer à un concours de beauté.

Histoire 3 : Someone please have sex with me - Toute la vie de Gina défile devant les yeux du lecteur, en commençant en 1998 quand elle réussit le dernier niveau du jeu sur sa console Nintendo, jusqu'en 2092 quand elle rend son dernier souffle et se retrouve en enfer. Toute sa vie aura été ponctuée de vaines tentatives pour enfin se faire sauter. Histoire 4 - La jeune adulte Gina se réveille toujours aussi consternée de ne pas réussir à devenir une vraie adulte (et pas que sur le plan sexuel). Elle croise un chat qui parle et qui lui promet de réussir à devenir une adulte pour peu qu'elle accepte de faire ce qu'il lui dit, ce qui implique des situations souvent humiliantes. Histoire 5 :Manhunt - Après s'être encore une fois fait jeter dans une relation par SMS, Gina s'imagine en chasseuse de primes, spécialisées dans les hommes grands, beaux, forts et musclés, tout en étant elle-même une mangeuse d'homme.

Le titre de l'ouvrage énonce clairement la situation sexuelle peu enviable de la narratrice. Gina Wynbrandt met en scène son avatar de papier que le lecteur soupçonne d'être passé par la moulinette de la dérision. Il découvre donc une jeune femme entre 16 et 20 ans, peut-être prenant de l'âge au fil de ces 5 récits, en surpoids, enrobée sans être obèse, de descendance hispanique, sans velléité aucune de se soumettre aux diktats de la mode féminine, tout en étant soumise à son influence, par la presse et internet. le titre indique clairement qu'elle souhaite pouvoir faire craquer un beau jeune homme avec des muscles bien dessinés, tels qu'elle peut en voir à la télévision, ou sur internet. Au fil des récits, il apparaît que cette envie de relation sexuelle est totalement déconnectée de tout sentiment amoureux, et qu'elle relève surtout de la frustration. Il n'y a pas de relation sexuelle dans le monde réel du récit, il y en a 2 dans le domaine du rêve. L'auteure ne représente la nudité qu'à 4 reprises, dans 3 cas il s'agit d'hommes dont le sexe est dessiné, dont 2 en érection. le troisième cas montre un rapport sexuel fantasmé en une case, sans représentation directe des organes génitaux.

Gina Wynbrandt réalise des dessins à l'esthétique très particulière, et pas forcément très agréable à l'oeil. L'artiste utilise essentiellement une couleur majoritaire qui est un rose assez vif. À quelques reprises, elle peut l'agrémenter d'un rose plus pastel, et parfois d'un gris acier clair pour quelques éléments de décors. Les 5 chapitres sont séparés par 4 pages d'un rose vif soutenu, très tranché. Dans la première histoire, elle utilise un trait assez fin pour délimiter les contours, un peu tremblé comme s'il n'était pas complètement assuré. Au départ, elle ne représente que très peu de décors, et ils sont très simplifiés. Elle gagne graduellement assurance au fil des 5 récits, en gagnant assez pour se lancer dans une scène en extérieur dans le chapitre 4. Elle utilise mieux la profondeur de champ dans le chapitre 3, avec des dessins toujours épurés, mais plus équilibrés. Pour le fantasme de chasseuse de prime de choc dans le chapitre 5, elle réalise des dessins avec plus de détails, plus d'informations visuelles, comme s'il s'agissait d'un épisode avec un budget normal pour les décors et les accessoires.

La couverture représente une jeune femme dodue, détourée avec un trait un peu gras, sans grâce aucune dans sa position. L'avatar de Gina est représenté ainsi tout du long : souvent avachie, avec des traits du visage épais, souvent en survêtement ou dans des tenues négligées (et pas en soie). Wynbrandt fait tout pour rendre la crudité de la présence de son avatar, son corps qui sent la sueur, son langage corporel vulgaire qui n'est pas associé à la féminité d'un point de vue culturel. Elle le fait si bien que lorsque Gina prend des pauses aguichantes ou langoureuses, elle en devient obscène par sa vulgarité, sans rien de glamour ou de séduisant. Elle va jusqu'à se représenter en train de faire du sport dans une salle de gym peuplée d'individus avec un corps sculpté, ou en train de manger des sucreries ou des chips au point d'en devenir morbide. Dans le chapitre 3 qui évoque une trajectoire de vie fantasmée, elle devient même le modèle d'un photographe le temps d'une page, qui la met en scène assise sur une couverture en train de se gaver de sucreries. Malgré le fini peu agréable des dessins, le lecteur ressent un rapport au corps difficile, une façon de se dénigrer pour une personne qui éprouve une forme de rancoeur quant au patrimoine génétique que lui a accordé la vie.

Une fois accoutumé à cette vision peu séduisante du personnage et des différents environnements, le lecteur se laisse prendre par la narration visuelle qui raconte bien chaque scène, en exposant l'endroit de manière sommaire, et en montrant Gina aussi bien dans les gestes de la vie quotidienne, que dans des histoires fantasmées qu'elle se raconte. Il se laisse surprendre par des moments d'une franchise et d'une justesse inattendues : Gina fascinée par les SMS qu'elle reçoit, Gina se tortillant pour rentrer dans une robe moulante, Gina léchant une glace (comme sur la couverture), Gina tortillant du popotin au bal du lycée pour attirer l'attention d'un mâle, 4 mâles au corps sculpté en train de se donner du plaisir dans les vestiaires du club de gym, Gina brisant la nuque d'un gros rat, ou encore Gina se battant à main nue contre un caïman. Même si l'auteure n'est pas une artiste disposant de grandes compétences techniques, elle réussit à faire passer beaucoup d'informations dans ses dessins, et à assurer une narration visuelle spécifique à la bande dessinée.

Dans un premier temps, le lecteur ne sait pas trop comment se positionner dans sa lecture. L'avatar de Gina n'est ni désagréable, ni pénible, mais il dégage un faible niveau d'empathie, et les situations ne permettent pas au lecteur mâle de se projeter facilement. Pourtant le sentiment de frustration et celui d'impossibilité de renoncer aux idéaux vendus par la culture ambiante prennent vite une dimension universelle, malgré le personnage très spécifique de Gina. L'apparition saugrenue de Kim Kardashian en bonne fée n'apporte pas vraiment de glamour, en rappelant les valeurs qu'elle promeut et la manière dont elle vend son image à la fois glamour et vaniteuse. Par contre, il fait naître un discret sourire chez le lecteur. Ce récit et les 3 suivants s'inscrivent dans le registre du fantasme où Gina s'imagine dans des fictions par lesquelles elle se projette soit dans l'avenir, soit dans une situation rêvée. Là encore le lecteur sourit à plusieurs reprises parce que ces fantasmes ne prennent pas du tout la tournure souhaitée par Gina.

Finalement ces 5 récits mettent en scène la frustration de son auteure sous la forme de récits dans lesquelles elle se met en scène, son avatar imaginant lui-même des récits d'évasion dans lesquels elle pourrait s'émanciper de son héritage biologique et accéder aux joies des fantasmes matraqués par la presse adulescente féminine. Mais la part adulte de l'auteure et de son avatar reprend le dessus, empêchant une rêverie satisfaisante et édulcorée. Gina Wynbrandt n'embellit pas son avatar, et elle parle de désir à travers lui. Les histoires évoquent un désir charnel, mais le sentiment de frustration s'apparente à celui ressenti pour d'autres objets du désir que charnels. le récit évoque alors une caractéristique de la condition humaine de nature universelle, parlant ainsi à chaque lecteur. Chaque récit met en scène une forme de prix à payer, ne permettant pas forcément d'obtenir l'assouvissement de son désir. Derrière un titre provocateur, Gina Wynbrandt parle bien de désir sexuel pour une jeune femme peu avenante tant sur le plan physique que sur le plan affectif. Mais cette provocation ne l'empêche pas d'évoquer la frustration à laquelle tout individu doit se confronter régulièrement. le lecteur sera plus ou moins sensible au manque de charme des dessins, et au thème abordé de manière plus descriptive qu'analytique.