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Critique de ileana


Une oeuvre d'une grande richesse et d'une grande finesse. J'ai apprécié la manière de saisir l'empreinte de l'histoire au fil des générations ; l'écriture qui fait revivre sous mes yeux un microcosme social ; les portraits très réussis ; la pudeur. MY avait 73 ans à la sortie de ce livre.

Biographie de la lignée paternelle

Le grand-père Michel-Charles de Crayencour (1822-1886) :

Michel-Charles fait des études de droit à Paris. En 1842, à l'age de 20 ans, il compte parmi les survivants d'un grave accident de chemins de fer à Versailles (l'auteur reflechit brièment à la contingence de toute existence). Autre épisode clé de sa jeunesse, son heureux voyage de dix mois en Italie. „Un homme bien né se doit de voir le monde avant de s'établir.”

Ensuite, son diplôme en poche, Michel-Charles n'ouvre pas de cabinet d'avocat. „Les professions libérales [ ] sont considérées comme inférieures par cette famille qui n'accepte pour but à la vie que la gestion de son bien ou le service de l'Etat”. Il entame une carrière au Conseil de Préfecture à Lille - fonctionnaire du Second Empire, remercié à la fin de sa carrière par la République.

Michel-Charles épouse la très riche Noémi Dufresne. Il est un bon père de famille, un type pétri de responsabilité. Noémi s'avère une despote dotée „d'un fond borné et grossier”. La rancune que témoigne MY à sa grand-mère Noémi, est-elle due au fait que celle-ci a refusé l'amour maternel à Michel, le père de MY? Tout cela est rendu de manière pudique et distanciée. Surtout pas de lyrisme. Michel-Charles et Noémi possèdent mille hectares de terre – une trentaine de fermes. La biographe évoque son grand-père, habité par « un goût archaïque pour la propriété foncière », se rendant sur ses terres à cheval.

Voici le portrait de Michel-Charles, rédigé par un faiseur de rapports secrets, „un mouchard officiel”, invité aux grands dîners hebdomadaires du patricien lillois : „Michel-Charles fait montre d'une tenue parfaite. Son esprit n'est pas des plus vifs. Pourtant, sous son apparence de bonhomie, il n'est pas sans quelque finesse. Sans intelligence politique. Il entend bien les affaires, et son activité ne laisse rien à désirer. Sa position et ses alliances le rendent utile.”

Michel de Crayencour, le père (1853-1929)

Au cours du chapitre consacré à Michel, le récit transite du groupuscule social vers l'individu. Ce sont des pages empreintes d'une sourde tendresse. Oisif héritier, misanthrope, solitaire, Michel croit à la Fatalité (= Ananké), c'est justement le titre du dernier chapitre. Il se clôt sur la naissance de la future écrivain (1903).

Autres portraits, autres images :

MY ne présente pas uniquement la généalogie des Crayencour. Elle évoque aussi des lignées apparentées. Par exemple celle du couple Loys et Marie-Athénaïs de L., P311. Des pages savoureuses, empreintes d'exquise ironie.
Avant de consacrer deux cent pages à son grand-père et à son père, MY se penche sur ses ancêtres et scrute „la nuit des temps”. „L'angle à la pointe duquel nous nous trouvons bée derrière nous à l'infini”. P47. le vertige de l'arbre généalogique.

„Du côté paternel, quatre arrière-grands-parents en 1850, seize quadrisaïeuls vers l'An II, cinq cent douze à l'époque de la jeunesse de Louis XIV, quatre mille quatre-vingt-seize sous François Ier, un million plus ou moins à la mort de Saint Louis”. P 46

« Vers le début du XVIe siècle, un petit personnage nommé Cleenewerck devient visible, minuscule à cette distance comme les figures que Bosch, Brueghel ou Patinir plaçaient sur les routes à l'arrière-plan de leurs toiles pour servir d'échelle à leur paysages ».

Plus proche de nous, voici la petite ville de Bailleul, où habitaient les Cleenewerck et les Bieswal. Cette bourgade flamande a été rattachée à la France au temps de Louis XIV.
„Il faut avoir vécu dans une petite ville pour savoir comment les rouages de la société y jouent à nu, à quel point les drames et les farces de la vie publique et privée y sont à cru et à vif. Un curieux mélange de rigide intégrité et cynisme en résulte. Ces gens qui se sentent princes aussi loin que s'étend l'ombre de leur beffroi et qu'ondulent leurs bonnes terres vertes seraient pour Saint-Simon des moins que rien, des poussières, s'il avait par hasard à parler d'eux.” p58

Un épisode sombre : en 1659, Pierre Bieswal et Jean Cleenewerck, magistrats de Bailleul et ancêtres de MY, „signent, avec vingt-cinq de leurs collègues, les procès-verbaux de torture de de condamnation d'un sorcier. Il s'agit d'un certain Thomas Looten. [ ] L'instruction dura deux mois.”

On découvre également des pages d'éruditions - le style Yourcenar : « C'est par la boulimie de la matière que Rubens échappe à la rhétorique creuse des peintres de cours. ».

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