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Critique de karmax211


Un livre qui suscite des réactions aussi contrastées ne peut être qu'un très bon livre, et dans le genre, à mon sens, il est pire que ça... il est culte !
Brûlot sulfureux, élégiaque de l'autodéfense, parangon de la violence ordinaire érigée en vertu, bible de l'amoralité, porte-drapeau de l'asocialité, fossoyeur civilisationnel, primitif en costard Armani qui bande en allant cracher sur les tombes de quelques cadavres exquis dans le silence étiolé des agneaux..." Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère, tu le connais, lecteur, ce monstre délicat ; c'est toi... ou moi !"

Ces quelques mots un peu lyriques émis par une plume à la voix de fausset en guise de préambule pour tenter de vous présenter ce bouquin coup de coeur.
Car il est de fait qu'un roman noir ne pouvait, dans ma représentation un peu schématisante de ce genre de littérature, posséder à ce niveau-là de si hautes qualités d'écriture, une telle maîtrise de la langue... au point de se fondre dans un narratif parfait, ne faire qu'un... " ensemble ", et ce "un", être un roman d'exception.
Sorti en 1991 au Royaume de sa très gracieuse majesté, - Dirty week-end - fait aussitôt scandale.
Vilipendé dans la presse, interpellé à la Chambre par une députée qui veut l'interdire, " fatwé " par Salman Rushdie en personne, " récupéré " par le réac cinéaste Michael Winner, le metteur en scène des différents navets à succès dans lesquels Charles Bronson incarnait " Un justicier dans la ville -, le roman d'Helen Zahavi avait tout contre lui, tous les paradoxes, toutes les ambiguïtés qui font d'une oeuvre d'envergure l'étendard moisi de quelques conservateurs ou autres aficionados du Second Amendment...
Time is a great healer disent les Anglo-Saxons, et le temps allait peu à peu donner raison à ce classique du noir, lui décerner ses lettres de noblesse en faisant de lui une oeuvre culte.

L'histoire, je le redis, d'une très grande maîtrise, est celle de Bella, une jeune femme en apparence fragile, en apparence ordinaire, en apparence victime, parce que proie dans un monde jungle ( milieu humain où règne la loi de la sélection naturelle ), une jungle dans laquelle les Tarzan ravalent les Bella au rang de Cheetah(s) interchangeables et jetables.
Bella vit à Brighton, une ville anglaise au bord de la mer.
Elle vit dans un sous-sol où ne rentrent parcimonieusement que quelques rares rais de lumière.
Seule et effacée du monde, elle fait soudain l'objet d'un voyeurisme insistant de la part d'une silhouette en noir, un voisin... qui vite devient un harceleur, une menace.
Bella est prête une fois de plus, dans ce monde " d'hommes ", à subir leur loi.
Sur le point de se soumettre... elle se révolte.
Sa visite à un voyant Iranien du nom de Nemrod ou Nimrod ( chasseur passionné qui tue beaucoup de gibier...) , un immigré, victime lui aussi, la consultation qu'il lui vend, débouche sur une séance qui tourne à la thérapie cathartique... avec pour mantra : " le monde se divise entre meurtriers, victimes et spectateurs. Vous n'avez pas le droit d'être spectatrice. Meurtrière ou victime. À vous de choisir !"
Tout comme son " mentor "; Bella va se muer en chasseresse passionnée... et tuer beaucoup de "gibier"...

Certes l'oeuvre est provocante et violente.
Mais Helen Zahavi nous restitue un monde absolument pas fantasmé, mais une réalité où la femme subit la loi du mâle.
Je ne voudrais pas faire appel au pathos, évoquer le sort des Afghanes et de ces gamines vendues pour que le reste de la famille puisse momentanément survivre, des Iraniennes, des excisées, des - Girls - ( vous vous souvenez, nos filles raptées au Nigeria ), des " avortées " que la Cour Suprême trumpisée pourchasse ( avec l'aide de Facebook... eh oui ! ), je ne voudrais pas vous heurter en vous rappelant les 113 victimes françaises féminicidées en 2021... 71 pour 2022 à la date d'hier... je ne voudrais pas ou plutôt j'aurais tant voulu que des fascistes poutiniens ne violent pas des Ukrainiennes par centaines depuis le 24 février.
Je ne voulais pas mais je l'ai fait... juste pour vous demander de vous imaginer un monde où les agneaux rompraient leur silence et se mettraient à faire douter les loups.
C'est ce qu'a fait Helen Zahavi.
Juste une inversion ; le dominant devenant dominé.

L'auteure l'a fait de manière crue, corrosive, avec ironie, apostrophant le lecteur pour lui permettre de souffler, de se " distancier ", de trouver ses marques et de ne surtout pas se fourvoyer dans le jugement d'impression(s), mais au contraire comprendre ce qui lui est proposé : une réflexion mais en aucun cas une solution.

Les " tableaux de chasse ", si violents ou " glauques " ( pour certains ) qu'ils soient, sont peints et dépeints avec un tel talent de plume que, ce qu'il en ressort au final, c'est un livre à l'esthétique travaillée et un immense plaisir de lecture.
Un plaisir démultiplié par la sensation, la conviction que chacun des tableaux en question aurait pu donner lieu à un roman ; le dernier étant à lui seul une apothéose, un chef-d'oeuvre de suspense et de noir digne des plus grands.
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