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Critique de lafilledepassage


L'autre jour, au cours de déclamation, une élève a présenté un extrait d'un roman de Musso. Impossible de citer le titre du roman de cet auteur prolifique, mais peu importe en fait. Ce fut une véritable épreuve pour moi (et pour le prof, je crois) que d'écouter ces platitudes et ces clichés usés jusqu'à la corde. Bon je ne blâme pas la pauvre jeune fille … d'autant plus que pour justifier son choix, elle a déclaré que ledit roman avait été imposé par son professeur de français, ce qui m'a achevé …

Comment un prof de français peut-il imposer ce genre de lecture alors que la vie est si courte et suffira pas à découvrir tous les chefs d'oeuvre de la littérature française et étrangère ? Et surtout quel projet pédagogique s'appuie sur une telle lecture ? Celui de faire de nos jeunes des gentils consommateurs soumis aux diktats des marchés, des citoyens à l'imaginaire atrophié, des exécutants qui ne remettront pas en cause l'ordre établi, des électeurs dociles amputés d'esprit critique ? Pire, mille fois pire, celui de les dégouter de la lecture ?

Quel gâchis d'imposer ce genre de lecture quand des romans tels que « nous » n'attendent qu'à être lus, discutés, critiqués ? Car oui ce roman fait partie des tous grands, de ceux qui appellent à la discussion, au débat, à l'argumentation. le roman de Zamiatine suscite la réflexion, aiguise l'esprit critique et entremêle différentes domaines de connaissance. Et ça, c'est tellement rare, cette joyeuse transversalité !

Alors si j'étais professeur de français, je m'associerais avec le professeur de philo, avec le professeur de mathématique et/ou de physique et avec le professeur d'histoire. Ensemble, on replacerait ce roman dans le contexte historique (pas neutre quand même ici …), on confronterait la vision de l'avenir d'un homme des années 1920 à notre actualité, et à notre vision de l'avenir. On démasquerait les syllogismes, contre-vérités et sophismes qui pullulent dans ce livre, on construirait une argumentation solide pour les démonter … On s'interrogerait sur cette vision de la fin du monde, une vision qui rompt avec la tradition des eschatologies (enfin je ne suis pas une spécialiste en la matière) , où généralement la fin du monde est synonyme de chaos, des massacres, de désordres, de souffrance, … Ici la fin du monde est un monde ordonné à l'extrême, où le bonheur régnerait en maître partout et la souffrance serait totalement éradiquée. Un monde où il n'y aurait plus de raisons de faire la révolution.

Alors certes ce « Nous » n'est pas une lecture facile. D'abord il y a cette plongée dans un monde purement factuel, intégralement ancré dans le présent, dans la réalité, dans la causalité, dans la fonctionnalité. Un monde où le doute, l'émotion, le rêve, le fantasme sont bannis. Un monde sans musique, sans poésie, sans intimité, sans échappatoire. Un grand état supranational où la vie est programmée dès la naissance. Zéro risque, zéro accident.

Et puis Zamiatine était ingénieur et ça se ressent, évidemment. Alors peut-être que pour apprécier ce roman, il faut être sensible aux charmes des mathématiques et de la physique, y compris à leurs paradoxes. Il y a aussi cette ponctuation si particulière, ces tirets qui font tantôt office de parenthèses, tantôt de virgules, tantôt de points de suspension pour indiquer une idée interrompue. C'est assez perturbant. Était-ce voulu par l'auteur, qu'en est-il dans le roman d'origine ?

Mais une chose est sûre : avec ce roman, on ferait un vrai travail d'éducation, on armerait les citoyens de demain contre les fameuses « fake news », sujet tellement à la mode, sans débloquer des budgets supplémentaires … (en Belgique, un budget a été débloqué pour combattre les fake news, alors qu'on aurait pu injecter cette somme dans le système éducatif. Ah oui, c'est vrai, c'est beaucoup moins porteur électoralement …).

Mais voilà je ne suis pas professeur, ni responsable des programmes pédagogiques, ni femme politique ! Dommage …
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