Toutes ces pensées, toutes ces histoires qui seraient inscrites à l’encre indélébile dans un rapport officiel au fin fond des locaux de la police. Confidentiel, oui, c’est ce qu’ils avaient assuré, mais rien ne restait à l’abri si une personne tout en haut de la chaîne prétendait avoir une bonne raison d’y jeter un œil.
Aucun thérapeute ne le détournerait de sa mission, de toute façon. Il savait au fond de son cœur qu’il était venu au monde dans ce but, pour rétablir l’équilibre céleste de l’univers. Il avait dérapé ce coup-ci, laissé ses émotions l’emporter. Mais il allait se remettre en selle. Sa sœur avait peut-être disparu – il avait abandonné tout espoir de la retrouver – mais il pouvait sauver quelqu’un d’autre. Il ferait justice. Il retrouverait les filles perdues ou, en tout cas, il résoudrait leur meurtre. Il punirait chaque homme semblable à celui qui s’était attaqué sans scrupules à sa sœur. Ces hommes. Ces meurtriers. Ces voleurs d’enfants et d’innocence. Il vouerait sa vie entière à cette cause, et même s’il ne sauvait qu’une seule fille, ça vaudrait le coup.
Tous les homicides ne trouvent pas de résolution. Il arrive que des gens restent impunis après des crimes affreux. Un état de fait très difficile à accepter pour certains policiers.
Elle faisait de longues marches solitaires à travers champs, par tous les temps. Le vent soulevait ses cheveux et elle riait comme elle aurait dû le faire quand elle était enfant. Elle courait dans les pâturages et se jetait dans les épis de seigle, laissant les tiges douces lui caresser le visage et le cou. Dans ces moments-là, elle parvenait à croire que tout était arrivé pour une bonne raison.
Elle avait beau n’être qu’un piètre ersatz d’être humain, en tout cas, elle était humaine. Et elle n’était pas lui. Mieux valait la voir que d’être enfermée seule entre ces quatre murs vingt-quatre heures de plus. Ça valait toujours mieux que le mutisme de Winnie l’Ourson.
Certains jours, cependant, se remémorer son enfance était trop douloureux et elle n’avait plus qu’un désir : lui écharper la frimousse.
Mais la triste vérité, c’était qu’elle lui parlait. Il était le seul ami qu’il lui restait et dans une certaine mesure, elle lui était reconnaissante d’être là, avec elle. Il ne lui faisait aucun mal. Il ne l’insultait pas. Il ne l’affamait pas avant de lui jeter des restes de pourriture immangeables.
Les gens ne disparaissent pas vraiment. Vous devriez le savoir, monsieur le policier. Les êtres humains laissent leur marque. Il suffit de regarder…