[...] à force de voyager entre les deux mondes, on finit par galoper seul. p 22
(...) ses parents [lui ont fait] promettre devant moi de ne plus mettre les pieds dans mon quartier qu'ils disaient "peuplé d'animaux" et jugeaient trop dangereux pour lui. Il a fallu quelques mois seulement à l'animal que j'étais pour haïr la compagnie de ceux qui m'entouraient. (...) Seul bénéfice tiré de cette expérience : être si tôt comparé à une bête pour des raisons pécuniaires est une épreuve qui vous forge des convictions politiques fortes. Bien plus tard, lorsque je découvrirai la notion de 'mépris de classe' chez Bourdieu, ce seront des mots apaisants posés sur des blessures encore ouvertes.
(p. 20-21)
L'empathie n'est donc pas une solution à tous les problèmes ni même une vertu éducative, mais plutôt un médicament. Comme un antibiotique, si on en ignore les effets secondaires ou si on oublie d'en respecter la posologie, elle devient un poison.
On les appelle "des élèves à besoins éducatifs particuliers", pour ne pas dire "les élèves dont on ne sait pas quoi faire".
A moi, l'Ecole a tout donné, mais qu'en est-il des autres, ceux qui se présentent à elle sans héritage culturel ni prédisposition à apprendre ? Que leur propose-t-elle, si ce n'est d'ajouter au poids de l'échec celui de la culpabilité ? L'ancienne société de classes accordait au moins à ceux qui étaient en bas de l'échelle la liberté d'être et de se sentir victimes d'une injustice, mais aujourd'hui la promesse républicaine d'égalité et de méritocratie portée par l'Ecole leur fait comprendre qu'ils sont les seuls responsables de leur situation. C'est un mensonge. Parmi les multitudes de chiffres qui le démontrent on peut citer ceux-ci : 79% des enfants de cadres ou de professions intellectuelles supérieures sont diplômés du supérieur, contre 29% des enfants d'ouvriers.*
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* Rapport annuel 2019 de la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP).
Ce que certains pédagogues refusent de reconnaitre, c'est que répondre rigoureusement aux besoins particuliers de chaque élève sans renoncer à toute démarche collective est une voie sans issue.
Pour ma part, sans vouloir entrer dans le débat interminable et stérile qui consiste à savoir si l’École était mieux avant, il me paraît essentiel d’historiciser la question de la SEGPA pour démontrer un point : l’échec scolaire existe depuis la création de l’École. Et les élèves qui aujourd’hui ont leur place en SEGPA étaient autrefois qualifiés d’« idiots » par l’institution elle-même, et parqués dans des asiles en campagne ou dans des classes dites « de perfectionnement » qui étaient en réalité des classes d’éloignement.
L'institution ne maltraitait que ceux qui avaient le plus besoin d'elle.