Citations sur San Perdido (114)
Felicia se sont concernée par le petit. Comme si elle l'avait mis au monde. Ce qui est un peu le cas, pense-t-elle, puisqu'elle la baptisé du nom que tous utilisent désormais pour le désigner.
Il cultivait une telle empathie avec les humains qu’il pouvait lire en eux. Il lui suffisait de poser la main sur le front de quelqu’un pour pénétrer le monde de ses souvenirs et voir en lui aussi clairement que s’il assistait à une projection. Rafat savait qu’un être doué de tels talents pouvait devenir redoutable à bien des égards. Utilisées à mauvais escient, ses compétences pouvaient en faire le pire des prédateurs. C’est pourquoi en juin 1946, il résolut d’envoyer Yerbo vivre sur la décharge de Lágrima – lieu où germait une extrême pauvreté –, afin de mettre à l’épreuve sa volonté, sa rigueur et son sens moral. Pour un enfant de dix ans que la jungle avait protégé depuis sa naissance, la découverte du monde que certains osaient encore appeler civilisé était une des meilleures écoles de la vie.
Felicia ne distingue que les yeux clairs de Yerbo.
Il est appuyé contre le mur de la maison et regarde le ciel.
Enfin, il se lève lentement.
A l'instant où il passe devant le rectangle lumineux de la porte, un sifflement retentit et le grand Noir est projeté contre la façade.
Une seconde, il demeure en suspens, comme un papillon épinglé, puis il glisse et s'effondre sur le sol.
Au centre de la place Dorée, au cœur même de San Perdido, près du port et des docks, les vendeurs circulent dans les rues, proposant des fleurs, des cigarettes, des confiseries, des lunettes américaines, des fruits qu’ils pèlent et coupent avec dextérité, de l’alcool de contrebande, du haschich ou tout simplement leur sœur.
Aussi loin qu’elle porte le regard, elle peut les voir : accroupies ou courbées, tirant et repoussant les sacs, déplaçant des cartons, des planches, des meubles brisés, triant des objets cassés, les vieux matelas éventrés. Plus bas, derrière les corps que la chaleur qui monte du sol fait trembler comme des mirages, elle voit la mer des Caraïbes scintiller et, sur ses reflets d’argent, les cargos glissent comme des jouets miniatures vers le canal de Panamá.
Sur la décharge, on commence à s'interroger sur l'enfant muet aux yeux clairs. Efia a parlé à Félicia de la force de ses mains. Son fils Taji est, lui aussi, impressionné. Efia raconte à Felicia qu'ils l'ont tous deux regardé désosser un vieux frigidaire, morceau par morceau, s'aidant d'un couteau ébréché pour débloquer les vis qu'il retirait ensuite ensuite à la main. Ils l'ont vu compacter la porte après en avoir arraché la poignée, puis chaque partie de la caisse. Les pièces du frigidaire semblaient du carton entre ses doigts.
Bientôt, les touristes enfouissent leur nez dans leur mouchoir et plissent les yeux de dégoût. Devant eux, s'étend la décharge publique qui coupe San Perdido en deux, comme une plaie humide et purulente. On dit que les pauvres l'ont placée là pour ne pas sentir la mauvaise odeur des riches qui vivent au-dessus d'eux.
Car il en va ainsi des légendes : elles sont chargées de mensonges plus vrais que la vérité, elles font sourire les sceptiques et applaudir les naïfs.
Depuis quinze ans qu’il rôde dans les couloirs du pouvoir, il (Carmelo) connaît tout de la manipulation et de l’hypocrisie. Du mensonge à la menace, de la violence à la flatterie, il a usé de tous les détours qui font et défont une carrière.
Malgré son ambition dévorante, Yumna a des restes de lucidité dans ses moments de faiblesse.