« — Alors comme ça, vous écrivez ?
Le jeune homme écarta l’étui et répondit sur un ton boudeur.
— J'essaie.
Puis, sans quitter des yeux la fascinante lune :
— Mais un genre d'histoires qui ne correspond en rien à votre politique éditoriale qui condamne les vrais écrivains et privilégie les pisse-copies à scandale, les nègres littéraires de «stars» bidons, en particulier les «stars» des faits divers…
Max sourcilla d'étonnement.
— Nos livres sont le reflet de l'époque actuelle. En d'autres termes, nous sommes les dignes héritiers de Stendhal qui s'est inspiré d'un sordide fait divers pour écrire son œuvre la plus prestigieuse.
Djépy pivota vers son interlocuteur. N’eût été sa dégaine, l’auréole lunaire dans son dos lui aurait presque donné l’air d’un saint.
— Vous n'allez quand même pas comparer Le Rouge et le noir avec les mémoires de l'autre boniche qui a fini sur la scène de l'Olympia de Paris ?
Max sourcilla.
— Qui ?... Ah oui, l’autre immigrée ! Mais on sort des faits divers. De toute façon, sa carrière s'est terminée dans les corbeilles qu'elle se vantait jadis de vider.
— Et Montignac ? Avec ses bouquins de régime...
— Quoi, Montignac ? J'ai essayé, dit-il en se tapant la bedaine, puis en dégainant son sexe pour pisser bruyamment dans une jarre fleurie. Ça marche moins bien que les diurétiques. Mais c'est un vrai docteur. C'est pas comme la boulotte qui est passée de la chanson insignifiante à la vente de tisanes insipides avant de faire faillite et se retrouver «sans chemise, sans pantalon...».
Ces dernières paroles furent chantées sur un air célèbre mais cela n’amusa pas Djépy.
— Ça ne vous a pas empêché d'éditer La Médecine douce de la «boulotte», guérisseuse à ses heures, et même de sortir un second volume.
Max fit siffler sa poitrine de rire.
— Mais tout ça, c'est comme Paco Rabanne et ses prédictions de fin du monde, ou Shirley MacLaine et ses réincarnations, c'est du guignol ! C'est pour donner de la matière aux magazines féminins.
— Vous alors, vous ne devez pas être copain avec le jury du prix Femina !
— C’est bien le seul, se marra Max. »
— Mon pauvre ami ! contre-attaqua la condescendante directrice, mais de quel siècle sortez-vous ? Aujourd’hui, ce que veut le public, ce n’est plus du talent, mais les frasques de Michael Jackson, l'inventaire médical et marital de Liz Taylor, les coucheries des Windsor à Londres ; celles des Grimaldi à Monaco...
— Et l’affaire Bernardo au Canada ! se permit Léa.
Lise, pour une fois, apprécia l'intervention de sa subordonnée :
— Ah oui ! Paul Bernardo, le disciple du divin Marquis. A son procès, les bonnes gens étaient si friands de découvrir la vidéo de certains de ses viols, en compagnie de sa chère épouse, qu’ils ont passé la nuit aux portes du tribunal.
— Ils se disaient horrifiés mais voulaient être aux premières loges, comme pour un concert des Rolling Stones ! fayota la secrétaire.
— Oui, ricana Lise. Et s’ils avaient pu, ils auraient acheté à prix d’or les photos des cadavres retrouvés !
Elle planta l'index sur le torse de son détracteur et le retira aussitôt pour l'essuyer du pouce.
— Aussi, ce n’est pas à moi qu’il faut vous en prendre. C'est à la race humaine tout entière.