Zweig nous livre aussi, comme il l'avait fait pour d'autres écrivains comme tolstoï, Dickens, et
Balzac, une fenêtre d'entrée privilégiée, pour comprendre trois constellations allemandes durables malgré la fugacité de leur existence. Je dois signaler tout de même, qu'il faut apprécier
Kleist,
Nietzsche et
Hölderlin avant de se lancer dans pareil essai. On a affaire à un essai fortement emphatique, pour ne pas dire dithyrambique. Autrichien de nationalité, Zweig connaissait aussi bien l'allemand que le français ou encore l'anglais. D'ailleurs, il a aussi été traducteur, notamment pour certaines
oeuvres du français à l'allemand de
Romain Rolland, son ami et maître, avec qui il a entretenu une riche correspondance.
Revenons maintenant à son essai «
le combat avec le démon ». Zweig, bien documenté et connaisseur des trois auteurs allemands, nous livre ici, non pas un essai ardu d'universitaire, mais une analyse d'un artiste et écrivain, à propos d'auteurs qui ont connu, de leur vivant, une existence non enviable (
Nietzsche et
Hölderlin devinrent fous, et
Kleist s'est suicidé). L'essai, par sa lucidité offre au lecteur un panorama intéressant, subjectif, sur ces trois figures, surtout celles de
Kleist et
Hölderlin, assez peu connues chez le grand public.
Si par contre, vous connaissez assez bien ces trois auteurs, l'intérêt de cet essai s'amoindrit. Ce n'est pas un essai portant sur des perspectives inédites, ou un rapprochement entre les trois écrivains allemands, dans la tradition de la littérature comparée. L'érudition de Zweig est agréable à parcourir, mais ne va pas forcément intéresser les littérateurs et les universitaires, surtout s'ils sont versés, peu ou prou, dans le 19e siècle allemand.
Mais qu'importe ! «
le combat avec le démon » est un excellent essai regroupant trois biographies passionnantes, d'un biographe qui excelle dans la matière (son essai sur
Marie Antoinette est toujours une référence). Avec une plume extatique, fiévreuse par moment, Zweig ne se contente pas de relater les événements marquants de la vie des trois auteurs, mais analyse aussi les
oeuvres et le contexte de leurs compositions etc. C'est très passionnant sans tomber dans le pittoresque ou dans le pompeux. C'est un essai qui ne souffre pas de cette rigidité qu'on peut rencontrer à la lecture de certains germanophones, et qui se ressent dans le ton doctoral. L'essai sur
Nietzsche, particulièrement, m'a saisi par sa majestueuse analyse, aussi bien sur l'homme que sur son oeuvre.
Hölderlin, poète de l'impossible, frère germain d'un Rimbaud, n'a jamais cessé d'exalter la pureté de l'âme qui était difficilement conciliable avec une époque corrompue.
« Les hommes ont de la peine à reconnaître les purs », est une citation tirée de
la mort d'Empédocle, pouvant à elle seule résumer son oeuvre fougueuse à l'image de son
Hyperion.
Je vous invite vivement à lire cet essai qui se lit comme un roman. C'est finement écrit, savamment mené par un Zweig au sommet de son art de biographe. Je trouve que cet essai est plus pertinent que celui qui portait sur tolstoï, où Zweig, précipitamment, l'avait mal jugé sur l'oeuvre de sa maturité (notamment dans « Ma confession » de tolstoï). Peut-être que Zweig avait pris le temps nécessaire pour écrire les trois biographies composant
le combat avec le démon, contrairement à celle de tolstoï, qui reste solide dans ses propos malgré quelques approximations de temps à autre.
Néanmoins, je ne peux que vous conseiller chaleureusement
le combat avec le démon, où la virtuosité de Zweig rend hommage aux trois figures allemandes, avec précision et érudition. Un petit régal dont il serait dommage de s'en passer.