Stefan Zweig part en Amérique du Sud, fuyant les nazis, et pense au premier homme qui a fait ce chemin, avec des moyens tellement moins sophistiqués que Zweig s'en veut de se plaindre des désagréments du voyage. Extrêmement bien documenté ce petit livre prend toute sa valeur 100 ans après ce premier voyage, duquel
Magellan n'est pas revenu, d'ailleurs. Et s'il est un moment où l'on doit lire ce livre, c'est maintenant.
Après les différents
voyages de
Christophe Colomb, l'Espagne croit être la maitresse du monde. Et le Portugal, avec ses nombreux marins-aventuriers, aussi.
Les deux pays se partagent le monde connu, et surtout inconnu, dans le Traité de Tordesillas : tout l'est de l'Europe, les côtes d'Afrique, et jusqu'à une partie du Brésil, pas encore découvert, pour le Portugal. A l'ouest, le reste, pas exploré, pour l'Espagne. le tout légiféré au Vatican.
Magellan est un vrai loup de mer, c'est un militaire qui a combattu pour le compte du Portugal jusqu'aux Philippines et qui, comme
Christophe Colomb, n'arrive pas à faire accepter son projet par les portugais : affronter la mer océane par l'Ouest, avec le présupposé (admis par
Ibn Battuta, mais pas encore prouvé scientifiquement) que la terre est ronde.
Magellan s'adresse alors à Charles Quint, qui se passionne aussitôt pour l'aventure : il s'agit de faire le tour de la terre par l'Ouest, pour éviter le pouvoir portugais, pour rapporter des épices, pour ouvrir une nouvelle route maritime au lieu de terrestre, très couteuse vu les droits de douane qui s'accumulent et les déserts à traverser.
Alors, en 1519, la folle aventure commence : s'exposer aux cauchemars sans nuit, aux tourmentes de la faim, et surtout à l'incertitude absolue de l'arrivée. Se méfier de tous, espions portugais déguisés, espions espagnols le prenant pour un traitre. On peut survivre quand on connaît l'échéance de sa détresse, mais là, au milieu de l'océan, sans amarres, sans repères, en butte aux mutineries et au scorbut, devant »les très grandes et épouvantables choses de la mer océane », sans carte, ou pire encore , avec une carte fausse, sans savoir ce qu'il va voir,
Magellan décide de prendre la mer, juste pour observer « des choses admirables ».
Il veut surtout rejoindre son pote, basé aux Moluques, à l'Est de la Nouvelle Guinée. Son ami Francisco Serrano qui lui raconte toute la richesse des épices qu'il pourrait accumuler en le rejoignant.
L'amitié et les épices, dit Zweig.
Qui le mènera, après avoir trouvé un passage appelé par la suite Détroit de
Magellan jusqu'à l'orée de ce qu'il baptisera le Pacifique, très extraordinairement calme mais dont personne ne connaît l'étendue.
Mais il prend une mauvaise décision, en abordant sur un rivage des Philippines où on l'assassine. Magnifique livre, où Zweig ne cache pas son admiration pour
Magellan et surtout où il en décrit le caractère froid et passionné à la fois.
Plusieurs fois lu et relu, je ne me lasse pas de ce génial récit de voyage, de l'analyse du caractère de
Magellan, fait par Zweig qui connaissait
Freud et de sa description du premier tour du monde.