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Critique de Woland


Marie-Antoinette
Traduction : Alzir Hella

ISBN : 9782253146698

Avec celle de "Marie Stuart", certainement la biographie la plus connue de Zweig, celle dont le lecteur le moins averti en la matière vous citera le titre sans hésiter. La figure, il faut bien le dire, est emblématique : archiduchesse d'Autriche, puis reine de France, et enfin "veuve Capet" et martyre sacrifiée à la Révolution française, Marie-Antoinette reste même, selon moult témoignages, le fantôme le plus célèbre de Trianon où, si l'on a bien de la chance - par exemple au mois d'août, par une journée très, très orageuse - elle vient au-devant du visiteur ébahi, s'avançant avec une grâce et une majesté sans pareilles à travers quelque invisible faille temporelle. Chez le biographe, on est tout aussi emblématique : grand nouvelliste et romancier, Zweig a, peut-être à un plus haut degré encore si possible, le don d'investir un destin historique et de le raconter à un lecteur fasciné pour qui, brusquement, L Histoire majuscule s'anime d'un seul coup, le temps de cinq cents pages détaillées, haletantes ... et incontestablement littéraires.

Cette qualité de l'écriture, je l'ai particulièrement ressentie avec la biographie de Marie-Antoinette. Pourquoi ? Eh ! bien, si l'on percevait bien l'admiration que portait Zweig à Marie Ière d'Ecosse, avec Marie-Antoinette, c'est la passion amoureuse - quoique platonique Wink- qui s'affiche sans complexe. L'auteur en eut-il conscience, du temps où il travaillait sur son manuscrit ? Qui pourra le dire avec certitude ? Mais le fait est là : Zweig est bel et bien amoureux de Marie-Antoinette. Pourtant, véritable tour de force pour un biographe, il va se garder avec panache de tous les pièges tendus par l'hagiographie et nous restituer l'un des portraits les plus prenants, les plus justes et aussi les plus modernes de l'épouse de Louis XVI.

Le seul petit bémol, c'est justement la manière dont Zweig traite le malheureux monarque. On ne peut pas dire qu'il lui fasse beaucoup de cadeaux, reproduisant peut-être sans le savoir ce mépris universel qui veut qu'un roi, un vrai, doive faire preuve d'un appétit sexuel qui, aux yeux de ses sujets, va de pair avec la poigne, juste mais ferme, avec laquelle on se doit de tenir un royaume. Louis XVI, on le sait, souffrait d'un phimosis qui l'empêcha pendant trop longtemps d'entretenir avec sa jeune et jolie épouse une relation maritale équilibrée. Se sentant sans nul doute en état d'infériorité même s'il ne l'avouait pas et reconnaissant inconsciemment à sa femme le droit de lui en vouloir et de le mépriser, le petit-fils du trop galant Louis XV eut pour elle de telles faiblesses qu'il lui passa pratiquement tout, tant ses manières de tête-de-linotte insolente et capricieuse que sa soif de toilettes et de joyaux. Dans une lettre demeurée célèbre et adressée à sa mère, Marie-Thérèse, impératrice d'Autriche, à qui elle écrivait régulièrement, Marie-Antoinette ne parle-t-elle pas de son époux comme du "pauvre homme" ? Marie-Thérèse et son ambassadeur en France, Mercy d'Argenteau, auront beau faire et refaire la leçon à la petite archiduchesse devenue reine de France, rien n'y fera et, quand Marie-Antoinette comprendra ses erreurs, il sera beaucoup trop tard - pour elle comme pour la monarchie française.

Quoi que l'on pense d'elle, on ne peut cependant nier que ses problèmes conjugaux ont dû gravement peser sur son destin. D'ailleurs, à la naissance de son premier enfant, la reine commence à s'apaiser. Insensiblement, elle mûrit, elle songe à l'avenir du Dauphin mais, là encore, Zweig y tient, elle ne dispose pas du soutien conjugal qu'il lui eût fallu. Dans la vie politique aussi, Louis XVI demeure "un pauvre homme." Ici, on peut tomber d'accord ou non avec le biographe mais force est de reconnaître, même si la bonté du roi, sa bonne volonté et son courage devant la Mort ne sauraient être mis en doute, que Louis XVI n'était pas fait pour gouverner et moins encore pour mener à bien la gigantesque réforme politique et économique - notamment fiscale - qu'exigeait à l'époque la situation du royaume. de là à dire que, si Louis XVI n'eût pas été l'aîné, un de ses frères aurait été à même de faire mieux et de tuer dans l'oeuf une Révolution qui grondait depuis déjà tant d'années, c'est un autre débat.

Mais revenons à Marie-Antoinette et à l'audace avec laquelle Stefan Zweig envisage ses relations avec Fersen. On peut dire que, jusqu'à lui, aucun biographe mémorable n'avait osé prétendre que la relation entretenue par la reine avec l'officier suédois était tout, sauf platonique. Les Goncourt eux-mêmes, pourtant si misogynes par nature, écartent avec horreur toute hypothèse graveleuse dans l'(excellent) ouvrage qu'ils consacrent à Marie-Antoinette. Zweig, lui, est l'un des tout premiers à s'affirmer certain de la réalité charnelle de cette liaison qui fit couler tant d'encre. Il ne jette pas la pierre à son héroïne, pas plus qu'à son chevalier servant et laisse même à Louis XVI le bénéfice d'une certaine "compréhension" dans l'affaire. A ce trio au destin si tragique - deux d'entre eux périrent sur l'échafaud et le troisième mourut lynché - il confère une dignité et une humanité qui forcent le respect. "Qu'eussions-nous fait à leur place ?" s'interrogent les lecteurs honnêtes. Bonne question qui, grâce au génie de Zweig - car cet homme est un biographe de génie, on ne peut en douter un seul instant - nous rend toute l'affaire beaucoup plus délicate et prétexte à questions complexes.

De sa naissance heureuse à Vienne, au palais impérial, jusqu'à la planche ensanglantée de la guillotine, toute la vie de Marie-Antoinette défile sous nos yeux avec ses enfantillages, ses caprices, ses erreurs, ses coups de coeur et cette prise de conscience si brutale qui, un jour, va lui permettre de mourir avec vaillance, en digne fille de Marie-Thérèse. le mystère de Marie-Antoinette réside d'ailleurs avant tout en cet instant où, de reine de parade trop préoccupée de toilettes et de cheveux poudrés, elle se transforme en reine véritable, s'intéressant enfin mais trop tard à la politique, se défendant pied à pied et défendant ses enfants contre les excès des extrémistes révolutionnaires, veuve-symbole dépouillée même de ses enfants et rongée par un cancer qu'on ignore et enfin, reine encore et à jamais, et grande, et majestueuse, mais aussi simple femme lassée d'une existence qui lui offrit autant de cadeaux qu'elle lui fit subir d'avanies, seule avec Samson et son aide sous les montants de la guillotine.

Si vous avez le moindre atome de sympathie pour Marie-Antoinette, vous aimerez la biographie de Stefan Zweig. C'est l'une des meilleures - et c'est aussi l'une des plus modernes. ;o)
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