AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


Quel autre auteur que Stefan Zweig pouvait dire avec autant d'acuité les battements de coeur d'une femme, l'émoi amoureux, le désir féminin, fût-il éphémère, fugitif ?
Quel autre homme pouvait écrire, peindre cela à propos d'une femme ?
Il y a des feux qui ne s'éteignent jamais...
C'est un roman qui a l'allure d'une nouvelle, ou peut-être est-ce l'inverse...
Un texte court, mais en même temps grandiose, vertigineux, incandescent.
C'est un brasier.
C'est une histoire dans l'histoire.
Le narrateur est un passeur comme Stefan Zweig. Il accueille l'histoire d'une autre, qui deviendra à son tour narratrice, sous forme d'une confession, de ce qu'elle a vécu ; à son tour le narrateur nous la transmet sans jugement.
Il nous la pousse comme une barque...
L'histoire est relativement simple. Nous sommes au début du XXème siècle, dans une pension chic de la Riviera. C'est brusquement l'émoi teinté d'une petite odeur de scandale. En effet, l'épouse d'un des riches pensionnaires vient de partir avec un homme beaucoup plus jeune qu'elle... L'événement fait écho au souvenir brusquement ravivé chez une vieille dame cliente de l'établissement ; sentant une empathie chez le narrateur, elle va alors lui confier le récit de son histoire, un épisode d'un jour dans sa vie, qui semble encore vivace, non éteint en elle...
Stefan Zweig nous entraîne dans les méandres d'un coeur qui se souvient d'avoir été au bord du vertige, d'avoir franchi le gué, d'avoir brûlé...
Stefan Zweig est un peintre de l'âme humaine, peintre des femmes, de l'âme des femmes, celles aimantes, celles amantes...
La vie n'est pas toujours qu'un long fleuve tranquille.
De temps en temps, de fugitives mais brûlantes passions viennent comme des sirènes tendre leur bras... S'en saisir ou pas...? S'abandonner ?...
On ne dira jamais assez que le sel de la vie réside parfois dans l'immanence de l'instant.
Qu'est-ce que vingt-quatre heures dans le cours d'une vie ?
La vieille dame déroule alors son récit.
Au cadran de l'horloge, les heures s'égrènent comme des ailes d'oiseaux.
C'est long vingt-quatre heures dans la vie d'un papillon ou d'une libellule !
Ou d'une rose. "Et rose, elle vécut ce que vivent les roses, l'espace d'un matin..."
Ici ce sont des heures fragiles qui ont meurtri le coeur d'une femme qui n'était pas prête à cela et la rendue vivante tout à la fois, réveillant la belle endormie...
"Une femme irréprochable", c'est bien là toute l'affaire, une histoire dont le miroir est aussi le regard des autres, leur jugement...
Je me suis demandé, aujourd'hui qu'en serait-il d'une telle histoire ?
Quelle morale serait là pour porter cette femme au piloris ?
J'entends déjà des voix, des phrases...
Je me suis demandé, qu'en serait-il si c'était un homme qui avait fui le domicile conjugal, familial en de pareilles circonstances ?
Dirait-on de manière admirative qu'il est un "formidable séducteur" ou qu'il avait forcément de "bonnes raisons" pour commettre un tel acte ? Tandis que pour une femme, "vous comprenez, ce n'est pas pareil"... "et en plus elle a des enfants"... Ne dirait-on pas encore d'elle que c'est "une femme légère", "une femme facile"... "Qui n'avait peut-être pas la tête sur les épaules" ?...
Oui c'est sans doute un peu de folie qui donne l'élan de se jeter dans le vertige abyssal du désir amoureux...
Qu'importe la destination du voyage, c'est le voyage qui compte le plus...
L'écriture de Stefan Zweig m'enchante à chacun de ses textes. Elle est incroyablement emplie de justesse et de sensibilité.
Partir, ce n'est peut-être pas le plus difficile. Mais comment revenir de Cythère le coeur encore empli de braises, comment toucher terre, poser le pied sur le rivage d'avant, comment revenir sous le regard des autres, des siens, avec l'opprobre qui attend peut-être...
Plus tard, qu'advient-il au cours de la vingt-cinquième heure, fatale ou consolante ? Peut-on guérir après le vertige, peut-on trouver la consolation dans le repos des jours ordinaires...?
L'écriture de Stefan Zweig, près d'un siècle plus tard, continue de nous brûler au ventre, qu'on soit homme ou femme d'ailleurs...
Commenter  J’apprécie          9618



Ont apprécié cette critique (89)voir plus




{* *}