J'ai personnellement plus de plaisir à comprendre les hommes qu'à les juger.
Vieillir n'est, au fond, pas autre chose que n'avoir plus peur de son passé.
…mais le sentiment d'une femme sait tout, sans paroles et sans conscience précise. Car…maintenant je ne m'abuse plus…, si cet homme m'avait alors saisie, s'il m'avait demandé de le suivre, je serais allée avec lui jusqu'au bout du monde ; j'aurais déshonoré mon nom et celui de mes enfants…
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(...) toute douleur est lâche, elle recule devant notre formidable volonté de vivre, qui semble plus solidement ancrée dans notre chair qu'aucune passion mortelle ne l'est dans notre esprit.
Cette façon magique de se tromper soi-même que nous appelons le souvenir...
Car tout ce que je vais vous raconter occupe une période de seulement vingt-quatre-heures sur soixante-sept ans; et je me suis moi-même souvent dit jusqu'au délire : " Quelle importance si on a un moment de folie, un seul!"
Comment expliquer que des gens qui ne savent pas nager se jettent d'un pont pour sauver un homme qui se noie? Une force magique les attirent, une volonté les pousse avant qu'ils aient eu le temps de mesurer l'audace absurde de leur entreprise (...)
On ne vit pareille heure qu'une seule fois dans sa vie, et cela n'arrive qu'à une personne parmi des millions; moi non plus, je ne me serais jamais doutée, sans ce terrible hasard, avec quelle force du désespoir, avec quelle rage effrénée un homma abandonné, un homme perdu aspire une dernière fois la moindre goutte écarlate de la vie; éloignée pendant vingt ans, comme je l'avais été, de toutes les puissances démoniaques de l'existence, je n'aurais jamais compris la manière grandiose et fantastique dont parfois la nature concentre dans quelques souffles rapides tout ce qu'il y a en elle de chaleur et de glace, de vie et de mort, de ravissement et de désespérance.
J'éprouve personnellement plus de joie à comprendre les gens qu'à les juger.
Vieillir n'est, au fond, pas autre chose que n'avoir plus peur de son passé.