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Critique de MorticiaAdams


Vers l'année 1904, le narrateur (il ne dévoile jamais son nom) séjourne dans une petite villa attenante à un palace qu'il partage avec d'autres vacanciers. Un jeune homme se fait remarquer par sa beauté, son élégance et sa sociabilité. Comme un coup de théâtre, Mme Henriette, disparaît. Une lettre laissée à son mari et « trouvée » par un vacancier indiscret nous apprend qu'elle s'est enfuie avec le beau jeune homme, laissant derrière elle son mari et ses deux filles... S'engage alors une conversation animée entre les vacanciers sur ce qu'il faut penser de l'événement, mais surtout, de l'intéressée. le narrateur se démarque en prenant la défense de cette femme. Cette attitude va éveiller l'intérêt de la vieille dame anglaise, Mrs C. qui reconnaît dans notre narrateur une personne capable d'entendre une confidence. Débute alors un autre récit dont Mrs C. est la narratrice. La nouvelle est ainsi composée d'allers et de retours entre présent (temps du récit) et passé (histoire de Mrs C.) ce qui n'est pas sans charme. le passé révolu que l'on fait revenir l'espace d'une histoire a quelque chose de délicieux (la mise en abyme me parait une façon d'augmenter le plaisir de l'histoire, en particulier dans cette nouvelle).
C'est un récit sur l'amour, sur la passion qui peut animer tout être et cela peu importe son âge. Ce récit semble un plaidoyer en faveur de la passion qui dépasse la bienséance et les convenances. C'est un thème que l'on pourrait trouver rebattu aujourd'hui mais Zweig est un homme qui a vécu « le tournant du siècle », il évoque cette forme de puritanisme du vieux XIXe siècle, qui semble encore imprégner la société du début du XXe siècle. Il y a bien une dimension polémique, amorcé dès le deuxième chapitre où la disparition de Mme Henriette donne lieu à un débat houleux entre les vacanciers. Mme Henriette n'est pas là pour se défendre ou expliquer son choix, en revanche Mrs C. va raconter son histoire (pour le narrateur et nous lecteurs, ainsi promus confidents privilégiés) ; ce récit par celle qui l'a vécu ne peut qu'emporter l'adhésion. C'est en racontant que Mrs C. analyse et comprend les sentiments qui l'ont animée. L'un des passages les plus émouvants est sans doute celui où elle pense ne plus jamais revoir le jeune homme qu'elle aime et décide de se rendre partout où ils ont été :

« Ce que je fis ensuite ne pouvait qu'être absurde également ; c'était une folie, même une bêtise, j'ai presque honte de le raconter (…) : je... cherchai à le retrouver... c'est-à-dire j'essayai d'évoquer chaque moment que j'avais passé avec lui... J'étais attirée violemment vers tous les endroits où la veille, nous avions été ensemble, vers le banc du jardin public d'où je l'avais entraîné, vers la salle de jeu où je l'avais vu pour la première fois, et même jusque dans cet hôtel borgne, simplement pour revivre encore une fois, encore une fois, le passé. Et le lendemain, je voulais parcourir en voiture le même chemin le long de la Corniche, afin que chaque parole, chaque geste pût encore une fois revivre en moi. Tellement insensée, tellement puérile était la confusion de mon âme ! Mais songez que ces événements s'étaient abattus sur moi comme la foudre : je n'avais guère senti autre chose qu'un coup brusque, un coup unique, qui m'avait étourdie. Mais maintenant, brutalement sortie de ce tumulte, je voulais encore une fois revivre, pour en jouir rétrospectivement, bribe par bribe, ces émotions fugitives, grâce à cette façon magique de se tromper soi-même que nous appelons le souvenir... À vrai dire, ce sont là des choses que l'on comprend ou que l'on ne comprend pas. Peut-être faut-il avoir un coeur brûlant pour les concevoir. »

Le récit est donc « scandaleux » à plusieurs titres : il montre deux personnages féminins qui font passer l'amour avant les convenances, qui tombent follement amoureuses de jeunes hommes ayant la moitié de leur âge ; et de surcroît, le récit étant fait vingt ans plus tard, c'est une dame encore plus âgée que l'on voit rougir à l'évocation de cet épisode de sa vie, qu'elle revit au moment où elle en fait le récit, comme le remarque à plusieurs reprises notre narrateur :

« Etait-ce la confusion, qui soudain colorait d'une rougeur inquiète et croissante ses joues jusqu'à la hauteur de ses cheveux blancs ? ».

C'est un texte fort qui aborde un sujet qui demeure, si ce n'est tabou, tout du moins, dérangeant quoiqu'on en dise...
La bienveillance du narrateur envers ces deux personnages féminins dont la vie a été bouleversée par la passion amoureuse est extrêmement touchante et, à l'évocation des sentiments que le récit de Mrs C. a éveillé chez lui, sentiments qui le laissent sans voix, si bien qu'il se contente de déposer un baiser sur « sa main fanée », l'on referme le livre avec un serrement au coeur.
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