AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Le détour (54)

J'avais la même sensation qu'en Allemagne : on faisait beaucoup de tapage après la Libération, mais en fin de compte on conservait intact tout le vieux système des hiérarchies sociales. On brandissait des croisades idéologiques pour mieux dissimuler tout ce qui n'avait pas changé.
Je comprenais bien qu'une guerre ne suffise pas pour saper les préjugés, mais je ne comprenais pas qu'elle ne suffise pas non plus pour saper une structure sociale alors que celle-ci porte déjà en elle les facteurs de sa propre désagrégation.
Commenter  J’apprécie          100
Déjà, dans le wagon de marchandises qui roulait vers Dachau, j'ai appris ce que voulait vraiment dire «être de l'autre côté de la barrière». Une cinquantaine de déportés "aryens" (les Juifs étaient dans un autre wagon), entassés les uns sur les autres pendant quatre jours, avec pour tout bagage un panier de fruits, fromage et pain qu'on avait distribué à Vérone et le regret cuisant de ne pas avoir ingurgité assez d'eau au cours de l'arrêt-boisson qu'on nous avait concédé avant de nous charger sur le train. À chaque halte, on se ruait sur les portes blindées pour implorer à boire dans un vacarme assourdissant, puis on se taisait, on s'immobilisait, anéantis dans une interminable et vaine attente. Au bout d'un temps infini, le train se remettait à grincer et à tressauter sur les rails. Nous, on recommençait à tourner en rond comme une meute de chiens en cage.
Commenter  J’apprécie          80
Une nuit je me réveille et je la vois debout sur le socle en bois. Dans le noir, elle est en train de trafiquer avec la grille qui sert de plafond à la cellule. Je comprends qu'elle attache quelque chose. Mais oui, ses bas, que je pense tout d'un coup (le soir, quand elle les retire, elle les caresse et les embrasse longuement). Elle enfile sa tête dans le nœud coulant qu'elle a confectionné. Je bondis, je la saisis aux jambes. Avec ses mains, elle s'agrippe à la grille du plafond et tente de ruer. Moi je la tiens serrée aux genoux, debout, ma joue collée contre son ventre. Je sens le fœtus remuer lentement à travers le tissu et la peau tendue.

« Me touche pas », souffle-t-elle à voix basse, étranglée de dégoût. Elle vomit une substance liquide qui colle à mes cheveux, glisse sur mon front vers la bouche, des litres et des litres me semble-t-il, de l'acide.
Commenter  J’apprécie          100
À Dachau, une longue bande de terre aride et inculte sépare le camp de triage du camp de concentration.

Du dehors, les deux Lager sont pareils, un seul petit détail les distingue: un courant électrique à haute tension passe dans les barbelés qui entourent l'enceinte du second.

La plaine environnante cst déserte, le climat dépressif, le ciel lui-même semble un rideau prêt à tomber et engloutir l'horizon. On se croirait sur une terre lointaine et inaccessible, on oublie qu'une grande métropole grouille à quelques kilomètres.

Tant que j'étais au camp de concentration, j'ignorais l'existence même de l'autre camp tout à côté. Je viens seulement de l'apprendre.

En m'évadant, je comptais quitter la région, m'éloigner des souvenirs aussi.
Au lieu de ça je me retrouve encore dans les parages de la mort organisée, dans ce camp de transit, Dachau, à deux pas du Lager d'où j'ai fui avec tant d'espoir.
Commenter  J’apprécie          70
Je marche jusqu'à un cimetière désolé et accueillant. J'entre : pas une croix, pas un cyprès. L'endroit ressemble au parc abandonné d'un château enchanté dont tous les occupants auraient été pétrifiés. Je me promène lentement, je prie au hasard, comme quand j'étais petite et que, postée à la fenêtre, je m'amusais à regarder les passants et à réciter mentalement l'Angélus pour des silhouettes fugaces choisies selon mon caprice.
Commenter  J’apprécie          130
Obsédantes, les bombes me suivent et se brisent comme les rouleaux d'une mer en furie. Je n'ai plus peur, chaque déchirement est un peu mon complice.
Commenter  J’apprécie          52
Ce fut incroyablement facile de s'évader.

Au camp de Dachau, j'appartenais à l'équipe chargée de nettoyer les égouts de la ville de Munich. Entassés dans des camionnettes en pelotons de vingt personnes armées de bâtons et de balais-brosses, nous descendions tous les matins en ville.

L'entretien des canalisations est un travail complexe, beaucoup plus varié qu'il ne paraît.

Souvent, il s'agit de soulever la plaque métallique d'un trottoir et de se glisser dans la fosse qui s'ouvre au-dessous. Celle-ci est traversée par un gros tuyau d'où dépasse verticalement un col court et fermé. On retire le couvercle de ce col, on enfile le bâton et on l'agite pour bloquer les excréments qui se sont amassés. Il faut les secouer et les malaxer jusqu'à ce qu'ils s'écoulent à nouveau.

D'autres fois, on nettoie les W.C., les conduites d'évacuation des usines et des locaux administratifs. Ou bien les Allemands nous expédient au grand canal de la décharge publique, percé de hublots par où on repousse les ordures enlisées, puis on jette dessus des acides corrosifs et de l'eau. On voit alors toute cette décomposition méphitique s'embalIer brusquement comme un bouillon infernal. Ensuite, on fixe les brosses aux bâtons et on frotte les parois du canal.

Mais le pire c'était quand on nous emmenait dans des villages pour vidanger les fosses d'aisances; là, pas de canalisations: quand la fosse était pleine, il fallait la vider avec des seaux. À la fin, on devait même descendre dedans. C'était seulement à ce moment-là qu'on nous distribuait des masques et des gants en caoutchouc et nous pataugions dans la mélasse jusqu'à ce que la fosse soit vidée.

(INCIPIT)
Commenter  J’apprécie          50
J'avais refoulé tout cela
Commenter  J’apprécie          30
J'étais tellement accablée par ma propre destruction que je la voyais partout. Dans les décombres. Chez les travailleurs étrangers encore ébahis d'être sortis vivants des Lager et des bombardements, hésitant à faire main basse sur la nourriture et les vêtements qui leur avaient été si longtemps refusés. Ces millions de va-nu-pieds de toute l'Europe qui avaient appris à se reconnaître les uns les autres et qui retournaient chez eux rien qu'avec l'auréole de l'esclavage qu'ils avaient subi, aussi dispersés qu'avant, à la disposition de la prochaine guerre qui les mobiliserait de nouveau, les ballotterait de nouveau, les déverserait encore sur des fronts adverses, pour qu'ils se mutilent et se mettent en bouillie jusqu'à la trêve suivante où, une fois de plus, ils devraient dire merci aux vainqueurs. (p. 379)
Commenter  J’apprécie          120
A présent je me demandais : si notre abrutissement , je l'ai imputé aux nazis, l'abêtissement des nazis à qui je dois l'imputer ? Ils sont à leur tour les Untermenschen de qui ? Ils se défoulent sur nous parce que nous leur avons été désignés comme sous-hommes ou plutôt, ils nous ont assumés comme tels. Mais eux, sont-ils des hommes libres ? Ils en sont réduits aux plus basses corvées de négriers, de geôliers, d'exterminateurs, de pillards, de tortionnaires et donc d'ultra sous-hommes. Pour le compte de qui ? Il doit bien rester quelque part des gens qui ne font pas ces choses-là, sans qu'ils soient pour autant des victimes. (p. 357)
Commenter  J’apprécie          50





    Lecteurs (234) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Les écrivains et le suicide

    En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

    Virginia Woolf
    Marguerite Duras
    Sylvia Plath
    Victoria Ocampo

    8 questions
    1745 lecteurs ont répondu
    Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

    {* *}