Carnage

A cette période où les thrillers ruraux sont régulièrement à l'honneur, je vais vous parler de ce petit roman frais, bucolique et champêtre.
Qui met de bonne humeur.
Un univers enchanteur, féérique qui fait du bien après ma précédente lecture, le macabre et tordu roman Nuit Noire.

Imaginez deux princesses magnifiques, sculpturales, qui courent dans les champs ou la forêt. Nues les trois quart du temps.
("parce qu'elles savaient qu'elles rendaient les mecs complètement dingues. Leur corps, leur visage, leurs formes, leurs fringues, tout ...")
("Son cou, ses épaules et ses seins étaient recouverts d'un mélange de terre et de sang, de touffes d'herbe sans doute ramassées alors qu'elle rebouchait les trous ayant accueilli le cadavre.")

Imaginez également trois frères, beaux et ténébreux, s'élançant à leur poursuite afin de se livrer à des jeux érotiques très coquins, étendus sur la paille.
("De son corps, constellé de bourrelets et de pustules, montait une odeur pestilentielle, rance et étouffante.")
("Et ses dents, deux chicots mal plantés, tordus et de travers, comme taillés en pointe, un en bas et l'autre en haut.")

Imaginez enfin un suspense de tous les instants, des cliffhangers absolument terribles en fin de chapitres.
("Et le bruit du moteur qui continuait à se rapprocher")
("Et à nouveau le bruit de pas se fit entendre.")

Et vous aurez une idée - certes éloignée, mais c'est un détail - de ce qui vous attend.

Vanessa et Clotilde sont mariées et très amoureuses. Afin de fuir les tracas de la vie urbaine, elles décident de s'installer à la campagne, dans les Ardennes. Elles jouent de leurs atouts féminins auprès de l'agent immobilier qui leur propose une petite ferme isolée à rénover afin de rendre le prix de leur investissement plus abordable et finiront par l'acheter à un prix défiant toute concurrence.
Rapidement, elles prennent possession des lieux, ne disposant pour l'instant ni de courant, ni d'eau.
Et là, premier accroc dans la nouvelle vie des deux héroïnes. Elles ont à peine emménagé que l'agent immobilier vient déjà chercher sa récompense en nature. Mais il suffira de simples postures très suggestives pour que notre obsédé amateur succombe à une crise cardiaque. Affolées à l'idée d'être accusées d'un crime qu'elles n'ont pas commis, nos deux beautés le débiteront donc logiquement en petits morceaux qu'elles enterreront autour de leur propriété.
Arrive alors le second imprévu : l'employé ERDF, bien excité lui aussi, qui n'a pas pour seule idée en tête la simple remise en route de l'électricité.

Comment ça, ça n'est pas crédible ?!
Mais on s'en fiche que ça soit invraisemblable ! On le lit pas Carnage pour se plonger dans une psychologie complexe des personnages ( Vous aurez déjà remarqué que dans ce livre, les mecs ne pensaient pas beaucoup avec leur cerveau ) ou une énigme insoluble. C'est uniquement du gore réjouissant et léger, à prendre au second degré, et en ce sens il remplit parfaitement son rôle. Un petit roman qui rend hommage à sa façon à des films comme Massacre à la tronçonneuse ou Détour mortel, ces séries B ou Z avec des abrutis congénitaux qui cherchent leurs proies.
La chasse est bien ouverte, mais l'identité des chasseurs reste à définir puisque nos deux frêles paysannes en herbe ne vont pas se contenter d'enfiler le costume de la victime sans broncher.

Quant à l'auteur, j'ignore totalement qui se cache derrière le pseudonyme de Crazy Farmer, et l'écrivain ne souhaite pas divulguer cette information pour l'instant. Christophe Siébert soupçonne quant à lui Alexandre Jardin, qui aurait souhaité s'essayer anonymement à un autre genre d'écrit.
Les chapitres sont très courts, les atrocités sont nombreuses mais certaines scènes sont tellement volontairement absurdes et décalées que ce qui aurait provoqué le dégoût dans un texte plus sérieux fait ici sourire.

Dix-neuvième volume de la collection Trash, il confirme que si le gore pur a bien ses codes ( un peu de sexe, beaucoup de sang , là dessus la couverture ne trompe pas sur la marchandise ), la façon de le retranscrire diffère énormément d'un auteur à l'autre. Trop souvent la succession d'horreurs se veut sérieuse et n'est qu'un catalogue d'énucléations et d'éviscérations qui laissent de marbre ( auquel cas le récit est raté ), parfois elle oppresse ( on visualise, on ressent ) et régulièrement c'est l'aspect délirant qui va primer. A l'instar de Charogne tango de Brice Tarvel chez le même éditeur , on est bien ici dans ce cas de figure.
Pour preuve certains titres de chapitre ( "Toujours plus loin, toujours plus mal", "des filles avec des trous dedans","charcuterie artisanale" ) qui annoncent la couleur avec une touche d'humour un peu noir.
Réservé quand même aux amateurs du genre.