Dans la famille des classiques de la littérature d'anticipation, je voudrais le père du monde des A :
Alfred Elton van Vogt !
Comme quoi, on peut être affublé d'un patronyme à coucher dehors et devenir l'un des maîtres de la
Science-fiction. Plus ennuyeux par contre quand on doit donner un nom pour valider la réservation d'une table au restaurant. Mais je m'égare… et d'égarement, il en est question dans ce roman qui initie le cycle du Ā (et ajouter une barre sur le A est une aventure en soi). Ā ou non-A désigne un système de pensée non-aristotélicien et aussi non-newtonien comme le rappelle l'auteur dans sa postface.
Le monde des Ā est un court roman sur l'identité et ce qui la définit :
Notre corps ? Celui du héros, Gilbert Gosseyn, ne cesse de changer, de se « métamorphoser ».
Notre esprit ? Devrions-nous le caractériser au moyen de notre mémoire du temps qui passe, des évènements, des rencontres qui jalonnent notre existence ?
Notre rapport aux autres ? Et quelle part de vérité doit-on attribuer à ce qu'ils nous disent ou ressentent ?
Par extension, il s'agit d'un roman sur la vérité qui, pour un homme borné par son système nerveux, apparaît comme parcellaire, limitée dans la perception que chacun peut en avoir. Un homme découvre qu'il n'est pas ce qu'il croyait être et va se lancer dans une quête, parsemée de rebondissements et de métamorphoses, à la recherche de son identité. Accessoirement, il va tenter de sauver le monde.
Ce roman a vieilli, mais les questions qu'il pose restent d'actualité. D'ailleurs, les aborder par le biais d'un roman se révèle souvent plus agréable et nettement moins troublant qu'au travers des écrits d'un philosophe. Ce livre remporta en son temps, début des années 50, un grand succès en France et participa à la démocratisation d'un genre qui ne s'est depuis lors pas démentie. Il est donc nécessaire en l'ouvrant de se replacer dans le contexte qui prévalait à l'époque. Les connaissances scientifiques, les avancées technologiques surtout étaient encore loin de ce que nous en connaissons aujourd'hui. Ce roman, complexe dans sa structure, questionna, au sortir de la seconde guerre mondiale, le lecteur sur des sujets que l'essor exponentiel de l'intelligence artificielle a contribué à remettre au goût du jour.
A.E. van Vogt privilégie l'action et les interactions entre les personnages pour faire progresser son récit. Il ne lâche pas le lecteur, qui n'a comme point d'accroche qu'un bonhomme qui se demande constamment qui il est et aussi si ce qu'il ressent est réel. L'expérience n'est pas inintéressante. Par contre, et c'est le gros point noir du livre, la traduction de
Boris Vian est une catastrophe ! Certaines phrases, probablement traduites mot à mot, sont presque incompréhensibles.
La traduction est un art à part entière. Un art qui nécessite un talent singulier, celui de transcrire la langue mais aussi et surtout la pensée, l'émotion, l'humour, le style d'un auteur d'un idiome à un autre. Aujourd'hui, les traductions sont, pour la grande majorité, d'une telle qualité que l'on en oublie parfois que l'auteur est étranger. Pourtant, comme au cinéma, il n'est pas simple de coller ses mots sur les lèvres d'un autre. Pas plus que copier le ton ou la brisure d'une voix. Après tout, une langue ne se définit pas seulement par ses mots, aussi par les silences qui les ponctuent. La respiration d'un homme peut être copiée, mais rien ne peut traduire sa signature unique.
Boris Vian a tenté, mais il a échoué.
Je m'en veux d'être incapable de lire avec aisance chaque auteur que je côtoie dans sa langue d'origine. La qualité d'un ouvrage, la réussite d'un auteur tiennent parfois à d'infimes détails : un jeu de mots dans une phrase, une ponctuation particulière, une ambiance, un rythme. Occulter ces finesses c'est dénier à l'auteur son originalité. Son identité.
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