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Citations sur Les Réprouvés (18)

" Vivre et faire l'histoire est une chose, écrire l'Histoire en est une autre..."

Michel Tournier

(page 7)
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Une nuit, pendant ces temps incertains, je rêvai de l’entrée des Français, oui, j’en rêvai, bien que jamais encore je n’eusse vu un soldat français, à part quelques prisonniers de guerre – je tiens à ajouter dès maintenant que dix-sept mois plus tard, quand ils occupèrent effectivement cette ville, je les vis tels que je les avais rêvés –, et voici comment je les voyais : soudain ils étaient dans la ville, dans cette ville morte, assourdie ; des formes souples gris bleu comme le crépuscule qui tombait entre les maisons, des casques d’un éclat mat au-dessus de visages clairs, de visages blonds et ils allaient vite, le fusil à l’épaule, au bout du fusil la baïonnette et tandis qu’ils marchaient, leurs genoux fonctionnant comme des ressorts entrouvraient leur manteau et ils fonçaient au milieu des vastes places vides, inflexibles, comme mus par des ficelles, et devant eux le brouillard qui pesait sur la ville se dissipait et c’était comme si les pavés gémissaient, comme si chacun de leurs pas enfonçait un coin aigu dans le sol torturé et comme si les arbres et les maisons se courbaient devant cette menace triomphante de la victoire, devant l’enivrement mortel, irrésistible de leur marche.
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Ensuite vint un groupe de Nègres conduits par un caporal blanc. Les Nègres avaient des jambes maigres, toutes droites, sur lesquelles les bandes molletières glissaient, et ils marchaient avec le bout des pieds tourné à l'intérieur. Ils ricanaient sous leur casque plat en montrant de larges dents luisantes, ils regardaient avec insouciance de tous côtés, et se délectaient visiblement du sentiment d'une supériorité imprévue.
C'était donc là " les représentants de l'humanité et de la démocratie" !
On les avait ramassés dans tous les coins du globe pour venir nous châtier, nous les barbares.
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Puis suivaient rapidement les régiments de Tunisiens, bruns, agiles et minces comme des chats. Ils avaient des dents d'une blancheur éclatante. Leurs yeux vifs et brillants lançaient des éclairs. Il flottait autour d'eux comme une senteur de désert, une inquiétude née sous un soleil de feu, sur un sable qui miroite...Derrière eux venaient les spahis dans leurs manteaux flottants au lumineux coloris, sur leurs chevaux minuscules et robustes, les spahis agiles et félins, comme assoiffés de sang. Enfin, noirs comme la peste, des corps musclés, satinés, sur de longues jambes, des narines avidement ouvertes dans des visages luisants : les Nègres.
Et nous rejetés, piétinés, domptés. O Dieu ! Que cela ne soit pas ! Cet indescriptible élan ! Et nous anéantis, gisant dans la poussière, réduits à l'obéissance, nous vaincus, déshonorés, abandonnés, ayant à tout jamais perdu la gloire !
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Nous étions enragés. Des drapeaux de fumée noire jalonnaient notre route. Nous avions allumé un bûcher où il n'y avait pas que des objets inanimés qui brûlaient : nos espoirs, nos aspirations y brûlaient aussi, les lois de la bourgeoisie, les valeurs du monde civilisé, tout y brûlait, les derniers vestiges du vocabulaire et de la croyance aux choses et aux idées de ce temps, ce bric-à-brac poussiéreux qui traînait encore dans nos cœurs.
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Je ne pus fermer l'œil de la nuit. J'étais en proie à un calme redoutable et je ne savais qu'une seule, une unique chose, c'est qu'il fallait tenir. Tenir à tout prix, envers et contre tout. Car actuellement, seule une attitude ferme pouvait permettre de maîtriser le désordre et immédiatement je tâchais d'acquérir cette fermeté.
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Au-dessus de la ville le ciel semblait plus rouge qu'à l'ordinaire. La lueur de réverbères isolés tentait vainement de combattre le brouillard de novembre et la teinte jaune pâle qu'elle lui donnait faisait paraître les nuages plus lourds et plus opaques. On ne voyait pour ainsi dire personne dans les rues. Au loin, la voix douloureuse d'une trompette résonnait longuement. Des roulements de tambour frappaient les façades des maisons comme d'une menace, pénétraient dans les cours obscures et faisaient trembler les fenêtres closes.

(incipit)
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Ce que nous voulions, nous ne le savions pas et ce que nous savions nous ne le voulions pas. Guerre et aventure, sédition et destruction et dans tous les recoins de nos coeurs une pression inconnue, torturante qui nous poussait sans relâche! Enfoncer une porte dans le mur du monde qui nous encerclait, marcher sur des champs de feu, passer par dessus des ruines et des cendres qu'un souffle emporte au loin, dévaler à travers des bois broussailleux et des landes balayées par les vents, nous creuser à coups de dents un chemin victorieux vers l'est, vers ce pays, blanc et brûlant, sombre et froid qui s'allongeait entre nous et l'Asie- tout cela le voulions-nous? Je ne sais si nous le voulions; nous le faisions, et le "pourquoi" se perdait dans l'ombre de luttes sans trêve.
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Si jamais un élément nouveau vient au monde, c'est bien du chaos qu'il surgit, à ces moments où la misère rend la vie plus profonde, où, dans une atmosphère surchauffée, se consume ce qui ne peut pas subsister et se purifie ce qui doit vaincre. Dans cette masse en ébullition en fermentation, nous pouvions jeter nos désirs et nous pouvions voir s'élever la vapeur de nos espoirs.
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Qu'il fasse ce que les bavards appellent de la politique d'exécution. En quoi cela nous regarde-t-il, nous qui luttons pour des buts plus hauts ?Nous ne luttons pas pour que le peuple devienne heureux. Nous luttons pour lui imposer une destinée. Mais si cet homme donnait encore une fois à ce peuple une croyance, s'il lui rendait encore une fois une volonté, croyance et volonté appartenant à une époque qui est morte avec la guerre, qui est morte, trois fois morte, et bien cela, je ne pourrais pas le supporter.
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