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Saint-Elme, tome 3 : Le Porteur de mauvaise..

Des deux, c’est Philippe le génie de la détection.

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Ce tome fait suite à Saint-Elme, tome 2 : L'avenir de la famille (2022) qu’il faut impérativement avoir lu avant. Son édition originale date de 2022. Il a été réalisé par Serge Lehman pour le scénario, et par Frederik Peeters pour les dessins et la mise en couleurs. Il compte soixante-dix-huit pages de bande dessinée. Ces deux auteurs avaient déjà collaboré pour L’homme gribouillé, paru en 2018. Il commence par un paragraphe de résumé assez dense.



Quelques tuyaux de l’installation de traitement des eaux… De nuit, Madame Dombre arrive à bord de sa Coccinelle VW : elle quitte la route principale et s’engage dans la voie de desserte qui mène à l’aire de pique-nique d’un débarcadère isolé sur le lac de Saint-Elme. Philippe Sangaré vient d’être déposé sur un ponton de bois par le passeur utilisant une barque à fond plat. Il le regarde s’éloigner, puis il se retourne vers le faisceau de phares de la voiture. Madame Dombre en sort et lui fait observer qu’il a drôlement choisi l’endroit de son débarquement. Il répond par deux mots : discrétion, toujours. Il remarque qu’elle s’est blessée à la cheville ; elle répond que c’est une longue histoire qui implique Franck évidemment. Il indique qu’il peut tout entendre à condition que ce soit dans un endroit chaud. Elle lui fait un point sur la météo : en-dessous des températures habituelles, mais les nuages vont se dissiper juste avant neuf heures, et à partir de midi grand soleil, ça va être une belle journée. Ils se rendent à l’auberge de la Vache Brûlée et ils y prennent une boisson chaude. Philippe Sangaré observe tout ce qui l’entoure, chaque client, Arthur Spielmann quand il vient les servir. Madame Dombre fait les présentations à cette occasion.



Philippe Sangaré résume la situation à Madame Dombre pour s’assurer qu’il a bien tout compris : Cavaliéri débarque à Saint-Elme juste avant Noël, il tombe sur son copain Red Dog qui fait déjà du business dans cette boîte sur le port, Le Mirage. Ils traficotent ensemble quelques temps, mais Cavaliéri change d’idée et s’embarque dans une histoire avec un fils de famille locale, Stan Sax. Mh. À la suite de quoi Cavaliéri monte au col de la Lanterne, disparaît des radars, et trois mois plus tard, la même chose arrive à Franck. Il demande quand elle a reçu l’appel de son jetable, ça faisait combien de temps qu’il était parti ? Il quitte la table, pour aller poser son sac dans sa chambre. Il y prend son revolver et il monte au col pour aller chercher son frère. En sortant, il doit marquer un temps d’arrêt, alors que Romane Mertens le frôle en roulant à toute allure sur son vélo. Elle s’arrête plus loin et elle tambourine sur la porte de Paco : dès qu’il ouvre, elle lui dit qu’il faut qu’il l’emmène tirer, elle doit se passer les nerfs sur quelque chose. De son côté, Philippe Sangaré a atteint le col à pied et il marque l’arrêt pour observer autour de lui : le vol d’un oiseau qui pique pour prendre une grenouille dans ses serres, plus loin des empreintes des pas dans la boue, plus loin encore une branche cassée, un poteau de clôture brisé en deux, et enfin une ferme.



Le lecteur apprécie que les auteurs tiennent leurs promesses : la couverture du tome précédent montrait l’arrivée du frère de Franck Sangaré qui se produisait à la dernière page. Ici, la première scène montre se prise en charge par Madame Dombre et sa première journée à Saint-Elme. Dans la matinée, elle explique à Arthur Spielmann, le lien de parenté entre Philippe et Franck, pas évident en comparant leur physique, et elle ajoute que des deux, c’est Philippe le génie de la détection. Il est possible que cette remarque anodine en passant évoque deux autres frères détectives : Sherlock & Mycroft Holmes, les facultés de déduction de ce dernier dépassant celles du premier. Avec cette remarque, le lecteur peut aussi se faire la réflexion que les méthodes de Franck Sangaré évoquent celles des détectives privés de type hardboiled, entre les années 1920 et 1950, et que les capacités affutées d’observation et de déduction évoquent plutôt Sherlock Holmes ou les héros d’Agatha Christie. Toujours avec cette faculté d’observation en tête, il se rend compte qu’il comprend mieux les cases des pages cinq et six : il s’agit de vues subjectives, rien n’échappant à Philippe Sangaré qui se livre alors aux déductions logiques afférentes. Il utilise à nouveau ses talents dans les pages onze à treize pour retrouver le chemin suivi par son frère au col de la Lanterne, et reconstituer les faits qui se sont déroulés à la ferme. Une narration visuelle muette impeccable.



Alors, que va-t-il se passer ? Le lecteur sent bien qu’il est revenu pour l’intrigue, pour les mystères, anticipant que le récit peut à tout moment basculer dans le fantastique. D’ailleurs, les grenouilles sont toujours là : en page onze quand une se fait ramasser par un rapace, en page trente-deux quand une personne s’échappe par des tunnels dans la montagne, et plus encore par la suite. Le règne animal est également présent avec le nouveau chien de Piotr, et avec Bruce l’animal de compagnie de Madame Dombre dont il est confirmé qu’il s’agit d’un furet. En outre son sort fait comme un écho à celui du chien dans le premier tome, les conséquences d’une violence disproportionnée, comme si l’être humain souhaitait éradiquer cette forme de vie qui le contrarie dans ses actions. Aux aguets, le lecteur guette également les signes de surnaturel ou de fantastique. Cela commence dès la première page avec l’apparence anormale des yeux de Philippe Sangaré : blanc de l’œil, l’iris et la pupille entièrement noirs, sans aucune explication. Pour autant il semble jouir d’une vue normale. Il y a de nouveau la mention du symbole de l’œil dessinée par la jeune fille Katyé, sur la vitre brisée par le derviche. Puis, comme le montre la couverture, l’évasion de Franck Sangaré au cours de laquelle il en voit littéralement de toutes les couleurs au propre comme au figuré : violet, rouge, bleu vert, une séquence découpée en trois, d’abord trois pages avec uniquement des onomatopées de bruit et quelques grognements, puis trois autres pages à nouveau avec seulement des bruits dont des croassements, et encore six pages avec des bruits, des passages quasi hallucinés, grâce à une narration visuelle limpide à l’ambiance évoquant les conventions visuelles de l’horreur.



Mais, à la grande surprise du lecteur, les auteurs confirment beaucoup plus le genre policier, avec une course-poursuite d’une voiture de police suivie par deux personnes voulant impérativement l’arrêter, avec coup de feu, tonneaux en cascade. Cette orientation de genre littéraire est confortée par l’enquête d’un génie de la détection. Là encore, la narration visuelle fait des merveilles : les cases correspondant en vue subjective de Philippe Sangaré. Les deux auteurs se jouent du lecteur : le don d’observation et de déduction du personnage est établi, il ne reste au lecteur qu’à s’interroger sur ce que comprend le détective car il y a forcément des indices à glaner, peut-être pas pour le devancer, mais pour progresser à son rythme. Le lecteur ne s’en montre que plus attentif à ce qui est représenté dans ces cases : deux femmes en train de papoter, les touristes prenant le plan mural en photo avec leur téléphone, le tatouage sur l’avant-bras droit d’Arthur Spielmann, ses oreilles en chou-fleur (Mmmmh, comme celles d’un boxeur, or Roland Sax pratique la boxe en amateur, et a souvent besoin de nouveaux partenaires…), les mimiques de monsieur Mertens assis seul à sa table. Il se prête bien volontiers à ce jeu également lors de la séquence dans la ruelle quand Sangaré se fait passer pour un client auprès d’un dealer.



Dans ces phases policier et action, le dessinateur épate le lecteur par les qualités de sa narration : l’évidence que certaines cases correspondent à ce que regarde Philippe Sangaré, les efforts démesurés de son frère pour s’en sortir avec sa mise en couleurs expressionniste, la bagarre sans merci à un contre trois dans une ruelle proche du port de Saint-Elme (un découpage percutant d’une lisibilité parfaite), l’affrontement dans une petite pièce de l’hôpital, et l’assassinat final sans merci. La richesse et la diversité des pages impressionnent le lecteur, avec des séquences d’action rapides, des discussions pleines de tension entre les personnages, des cases totalement mémorables inattendues, comme des personnes sur des tapis de course dans une salle de sport, un food-truck et ses clients, le bureau très encombré de Roland Sax et le morceau de chondrite, l’agitation nocturne des rues de Saint-Elme, le calme de l’hôpital et son éclairage artificiel, etc. Un grand plaisir de lecture donnant l’impression que la bande dessinée a été réalisée par une seule et même personne.



Pourtant, le scénariste mène la vie dure à l’artiste, à la fois par la diversité des séquences, la nécessité de maintenir une cohérence visuelle d’un tome à l’autre, et des scènes de dialogues aux enjeux forts. Il surprend le lecteur à plusieurs reprises : en changeant imperceptiblement de registre de genre (à la limite du surnaturel mais sans en être vraiment, puis en passant en mode policier-action), en maintenant un rythme soutenu avec des révélations nombreuses, et une étonnante densité narrative. Le lecteur sent qu’il ne s’est pas embarqué dans une série interminable, mais dans une histoire bien définie, avec des actes irréversibles, lourds de conséquence. Par exemple, il n’aurait jamais imaginé l’exécution préméditée d’un membre de la famille Sax, de premier plan. Il révèle également la manière dont la famille Sax a établi sa mainmise sur la ville, et des secrets de famille sont dévoilés, modifiant drastiquement le rapport de force entre plusieurs personnages. Ce n’est qu’arrivé à la fin du tome que le lecteur se rend compte de l’absence de Katyé, de madame la maire Béatrice Maleterre.



Dans les deux premiers tomes, les auteurs jouent avec le lecteur développant de nombreux mystères sur la trame de ce qui s’assimile à une enquête, avec peut-être une dimension surnaturelle, ayant ainsi généré un horizon d’attente de grande ampleur. Ce troisième tome tient toutes les promesses, et plus encore, avec une narration visuelle de haute volée qui prend régulièrement en charge de raconter sans l’aide de texte. L’effet d’immersion fonctionne à plein régime, au milieu d’individus tous particuliers, pour une histoire de genre, de mauvais genre. Addictif.
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Saint-Elme, tome 2 : L'avenir de la famille

On est toujours « A la croisée du polar noir, de l’étrange et de l’absurde ».

Le résumé qui précède ce tome 2 est une excellente idée et me permet de comprendre l’imbroglio du tome 1 que j’avais survolé en essayant de décrypter dans les zones d’ombre du dessin des éléments de compréhension.

Je reconnais maintenant les différents personnages et me situe un peu mieux dans l’intrigue qui je l’avoue a du mal à me passionner.

Trop de personnages dont nous survolons la personnalité et je n’arrive guère à m’y intéresser ni à m’y attacher.

Des dessins certes grandioses mais la plupart du temps cachés dans l’obscurité, ce qui gâchent mon plaisir visuel.

Ce qui m’amuse …

Les grenouilles qui continuent de parsemer les pages … l’itinéraire d’une de ces bestioles dans sa descente de l’étage à la cave est fascinante … les discours de l’homme face à un fauteuil vide m’interpellent … un, deux, trois, la pluie qui tombe ou s'arrête sur demande m’amuse.

Quand le tome 3 sera disponible à la médiathèque, peut être que j’irais faire un tour à saint Elme pour voir ce que deviennent les grenouilles !
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Saint-Elme, tome 1 : La vache brûlée

La sortie récente du tome 5 de la série a relancé la publicité !

Une mise en avant à la médiathèque m’a incité à tenter l’expérience.

« A la croisée du polar noir, de l’étrange et de l’absurde » … c’est ce que l’éditeur nous dit … cela semble tentant !

Une lecture rapide.

Je n’ai rien compris au scénario… une critique de BurjBabil m’a éclairé sur le sujet … merci de lever le voile sur l’histoire et de placer les personnages dans le contexte.

Les dessins sont très agressifs, les mélanges de zones d’ombre et de couleurs éclatantes m’ont perturbée et je n’ai pas toujours trouvé le découpage adapté au récit et les cadrages sont déconcertants.

Je me suis amusée à suivre la réminiscence de la légende de la vache brûlée et les péripéties des grenouilles qui viennent perturbées tout ce beau monde.

J’ai aussi emprunté le tome 2 … dernière chance pour la série !
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Saint-Elme, tome 2 : L'avenir de la famille

Ces toasts sont exactement comme je les aime.

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Ce tome fait suite à Saint-Elme, tome 1 : La vache brûlée (2021) qu’il faut impérativement avoir lu avant. Son édition originale date de 2022. Il a été réalisé par Serge Lehman pour le scénario, et par Frederik Peeters pour les dessins et la mise en couleurs. Il compte soixante-dix-huit pages de bande dessinée. Ces deux auteurs avaient déjà collaboré pour L’homme gribouillé, paru en 2018.



Dans les alpages, une ferme avec une installation de raffinerie, un chien gisant mort dans la boue, le crâne éclaté par une balle. Non loin un homme étendu dans la boue, gisant inconscient. Adossé à un mur, un homme mort du sang sur le front. Avec un regard de fou, le derviche regarde tout ça, fixement. Une voiture arrive par le chemin de terre. La belle berline s’arrête devant la ferme, à côté du l’homme inconscient. Stan Sax descend du véhicule, toujours vêtu de son pantalon de survêtement rouge, et de son chaud blouson en cuir. Il salue Arno Cavaliéri, et il lui demande s’ils sont tous morts. L’autre répond que non, Kémi s’en est tiré, enfin si on peut dire, il est dedans. Le cadavre adossé au mur glisse lentement vers le sol. Stan Sax rentre dans le bâtiment, pendant que Cavaliéri prend une bûchette pour caler le mort en position assise. Stan secoue Kémi qui gémit un peu, sans reprendre conscience. Il ressort et demande au derviche ce qui s’est passé. Celui-ci lui raconte l’histoire : Félix Morba a pété les plombs. Il devait assurer la sécurité à la place du gros Fred, hier soir, mais Arno imagine que Stan le sait. Il continue : il n’a pas tout vu parce qu’il était dans la camionnette en train de charger la marchandise. Il demande à Stan d’enlever la bûchette, parce qu’elle le gêne. Il adosse le deuxième macchabé contre le premier. Parfait.



Stan Sax demande à Arno Cavaliéri ce qui s’est passé ensuite. L’autre répond que Morba est allé uriner par là-bas, dans la neige, et puis il s’est mis à shooter tout le monde. Sauf Arno qu’il a enfermé dans la camionnette. Stan demande si le signe sur la vitre, une sorte d’œil ouvert, c’est Morba aussi. Arno traîne le troisième cadavre et répond qu’il y avait une fille dans l’appentis, une gamine, neuf ou dix ans, noire. C’est Vassili qui l’a amenée il y a trois jours. Il a juste dit qu’elle valait cher et qu’elle serait partie avant la fin de la semaine. Arno résume : Morba fume tout le monde, part avec la fille et Stan reste bloqué dans la camionnette. Stan continue : il est resté bloqué jusqu’à l’arrivée du type étendu inconscient dans la boue.il s’appelle Franck, c’est un privé, payé par la mère d’Arno pour le ramener. Il l’a cogné un peu fort, mais Franck respire. Stan perd patience, puis se reprend et téléphone. Arno termine sa sinistre besogne en ramenant le cadavre du chien et en le déposant sur les jambes des trois morts adossés au mur. Stan explique que sa sœur Tania va s’occuper de tout, et qu’elle veut une photographie de Franck au cas où il serait passé en ville avant de débarquer ici.



Mystère, mystère. Mais comment les auteurs font-ils pour en raconter autant en si peu de mots ? Le lecteur est frappé par la concision des dialogues : des phrases courtes, rarement plus de deux à la suite par un même personnage, plus souvent seule. Une seule page sans aucun mot, une autre avec seule une onomatopée pour un bruit de moteur, et pourtant une remarquable impression de texte en toute petite quantité. Le lecteur se retrouve épaté par le naturel des dialogues, leur enchaînement à un rythme évoquant une vraie conversation, les particularités d’expression spécifique à chaque personnage. Dans la première scène, le lecteur peut distinguer qui parle de Stan ou d’Arno sans même regarder la case : ils s’expriment de manière différente, dans le choix de leurs mots, dans la construction des phrases, dans les mots ou les expressions qui reviennent. Il en va de même pour chaque personnage, de façon tout à fait naturelle. Le lecteur se rend également compte que malgré leur brièveté, les phrases apportent de solides informations, par ce que signifie la phrase de manière littérale, par ce qu’elle révèle du personnage sur sa réaction à un événement ou à une situation, par son niveau de réflexion. Leur sens en est complété par ce que montrent les dessins : la gestuelle, la posture qui en disent beaucoup sur l’état d’esprit du personnage. Tout ceci, le lecteur l’absorbe de manière inconsciente et automatique, la complémentarité entre texte et dessin étant parfaite.



Le lecteur peut observer l’interaction entre texte et dessin, également à l’occasion des onomatopées : discrètes, toujours parfaitement justes. Cela commence avec le léger bruit du moteur de la voiture qui se fait entendre dans le silence de la montagne. Puis viennent, entre autres, le bruit du cadavre assis qui glisse mollement par terre, le bruit que font les mains du derviche alors qu’il les frotte, le léger clic émis par un téléphone prenant une photographie, les aboiements hargneux du chien, le bruit des coups portés hors champ sur un prisonnier, des murmures inaudibles d’une conversation écoutée derrière une porte, le son des toasts éjectés d’un grille-pain, etc. Ces sons accompagnent la lecture, suscitant l’illusion chez le lecteur qu’il entend parfois ce qui se passe. À sa manière, la mise en couleurs fait également appel aux sensations, avec la présence répétée de différentes nuances de violet, utilisées de manière expressionniste, établissant une forme de continuité entre des éléments disparates, entre des individus même. Outre les ombres portées mauves, le lecteur ralentit de temps à autre son rythme pour savourer une composition inattendue : le contraste entre le rouge et le violet sur le visage de Gregor Sax évoquant un usage similaire par John Higgins dans Watchmen, la lumière verte baignant la chambre en soupente de la ferme, le jaune au cours de l’interrogatoire de Franck Sangaré, entre flammes intenses et effet psychédélique déconcertant, un moment ensorcelant.



Dans le fil des pages, le lecteur absorbe tout naturellement ces compositions de couleurs, sans chercher à les analyser, juste en ressentant le décalage qu’elles induisent, l’ambiance particulière qu’elles installent, l’intensité du ressenti qu’elles provoquent. De la même manière, il ressent l’efficacité de la mise en scène, sa rigueur. Une scène en trois pages : Jansky, Piotr, Arno Cavaliéri et Stan Sax se retrouve dans une petite chambre mansardée en train de regarder Kémi allongé inconscient à la suite d‘une blessure. Jansky ordonne à Piotr de l’achever, Cavaliéri s’y oppose, il s’en suit un affrontement physique. La mise en scène relève du grand art pour parvenir à raconter ce combat dans un espace confiné, à établir une suite de mouvements et de coups cohérente, que le lecteur peut parfaitement suivre, les deux hommes s’adaptant à l’exiguïté de la pièce. Dans un tout autre registre, le lecteur peut suivre Paco et Romane Mertens en balade dans les alpages : le sentier caillouteux, les grands étendues herbeuses, les montagnes pierreuses, les rares sapins, les quelques traces de neige, le repas frugal transporté dans un sac à dos, le rapace qui passe haut dans le ciel. Tout cela donne envie au lecteur de respirer l’air frais et pur de la montagne. Il se remémore alors la présence du règne animal dans le premier tome : ici, les auteurs mettent la pédale douce sur les grenouilles, un peu moins présentes que précédemment. Outre le rapace, il peut voir un chien vivant, un loup tenant une grenouille dans sa gueule, l’animal de compagnie de madame Dombre, et un chamois.



L’intrigue s’avère facile à suivre en ayant le premier tome en tête. Les auteurs prennent la peine de rappeler le nom des personnages ce qui permet de les mémoriser plus facilement : le derviche, la famille Sax (Roland le père, Vik l’épouse, Stan le fils, Tania la fille, Gregor le beau-père de Roland), les hommes de main (Jansky, Piotr, Yanski), Madame Dombre et Bruce, madame le maire (Béatrice), Arthur Spielmann le patron de l’auberge capable de prédire le début et la fin de la pluie, Paco berger blessé à la jambe, Sylvia la cliente de Spielmann, Romane et son père. D’un côté, l’enquête de Franck Sangaré suit son cours et il subit un interrogatoire musclé et chaud. De l’autre côté, l’intrigue est tributaire des aléas, comme la cheville foulée de madame Dombre, ou des brusques sautes d’humeur du derviche. Aussi les développements de l’histoire dépendent de personnages et des imprévus, à l’opposé d’une trame aux enchaînements automatique. L’enquête se serait déroulée tout à fait différemment sans cette cheville foulée, la situation n’aurait pas empiré à ce point si Stan Sax avait pu mettre à profit une plus longue expérience des affaires.



Même s’il y a moins de grenouilles, le lecteur ne peut pas se départir de l’impression qu’il y a d’autres forces à l’œuvre que celles visibles dans les cases. C’est une sensation indéfinissable et ténue : la façon dont un loup tient une grenouille dans sa gueule, le symbole de l’œil ouvert tracé dans le sang par Katyé, les qualités de combattant de Cavaliéri, le stoïcisme téméraire de Sangaré, le père de Romane qui s’adresse à une silhouette invisible ou encore la capacité de prédire le début ou la fin d’une pluie. Il y a quelque chose de pourri au royaume de Saint-Elme. Mais dans le même temps, les auteurs parviennent à raconter un vrai polar, avec la corruption passive de la police, l’enlèvement de la fillette, le trafic de drogues, etc. Mais comment font-ils pour en raconter autant en si peu de pages, et avec une telle économie de dialogues ?



Ce deuxième tome confirme la puissance addictive de cette série : le lecteur est accro et veut en apprendre plus, continuer de pouvoir arpenter les rues de Saint-Elme et la montagne alentour, en découvrir plus sur ce projet de Saint-Elme 2.0, côtoyer cet enquêteur de peu de mots, se réjouir de ne pas avoir le derviche en face lui, se retrouver sous ces éclairages bizarres, voir les méchants châtiés, etc. Et pourquoi des grenouilles ?
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Saint-Elme, tome 1 : La vache brûlée

C'est une phrase de vieux, ça.

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Ce tome est le premier d’une pentalogie, une série qui constitue une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2021. Il a été réalisé par Serge Lehman pour le scénario, et par Frederik Peeters pour les dessins et la mise en couleurs. Il compte soixante-dix-huit pages de bande dessinée. Ces deux auteurs avaient déjà collaboré pour L'Homme gribouillé, paru en 2018.



Quelque part en montagne, aux abords d’une grange abritant une installation artisanale de traitement chimique, une grenouille croasse. Elle s’élance et bondit dans une zone herbue, puis s’arrête sur la route. Un van passe à vive allure et l’écrase, sans même que le conducteur en ait conscience. À côté de lui se tient un passager, Félix Morba, un grand noir chauve. Le conducteur ralentit et prend un chemin de traverse, celui qui conduit au chalet avec la grange. Les aboiements d’un chien agressif se font entendre. Le conducteur arrête son véhicule devant la maison, et le chien aboie sur les nouveaux arrivants : il est solidement attaché, ce qui rassure le conducteur qui sort du van. Deux hommes armés de fusil viennent l’accueillir. L’un des hommes fait remarquer au conducteur que d’habitude il travaille avec le gros Fred. Pendant qu’il ouvre l’arrière du van avec un trousseau, il explique qu’il y a eu un problème, il racontera plus tard et Curzon est à l’hôpital, il ne restait que Morba, le seul mec qui donne l’impression d’être en taule à l’extérieur. Le chauffeur déplace les cartons à l’arrière, sort un cutter, ouvre une trappe dans le plancher du van et demande à l’homme armé d’aller dire au derviche d’apporter les colis.



Pendant ce temps-là, Morba descend du van à son tour, et s’éloigne pour aller se soulager dans la neige. Il remarque derrière lui un appentis accolé au chalet, avec une porte et un une fenêtre avec un éclairage rouge, sur laquelle est dessiné un unique œil, ouvert. Il s’en approche, dérangeant au passage une grenouille qui croasse doucement. Il se baisse et il regarde par la fenêtre : un enfant se tient assis à même le sol. Il relève la tête et regarde Morba sans parler. L’homme tapote au carreau et lui demande si c’est lui qui a dessiné ça. Il est interrompu par l’arrivée d’un autre homme qui lui demande ce qu’il fait là, et qui lui ordonne de retourner dans son tas de boue. Le chien continue d’aboyer avec hargne. Un autre homme armé indique qu’encore deux voyages et c’est bon. Morba redescend du véhicule. Il enferme le derviche dans la partie arrière et il jette les clés au loin. Un homme armé approche, Morba lui tire une balle dans la tête, à bout portant. L’autre réagit, il l‘abat à deux mètres. Le conducteur rentre dans la maison en courant, Morba l’abat d’une balle dans le dos. Il rentre dans la maison, il remarque quatre verres sur la table : le quatrième lui tire dessus en même temps qu’il ouvre le feu sur lui. Le premier s’écroule à terre, mort, Morba est blessé. Il ressort et il va délivrer l’enfant qui lui dit s’appeler Katyé. Plus tard, un ferry traverse le lac : Franck Sangaré débarque à Saint-Elme et il est accueilli par madame Dombre.



Une couverture qui frappe l’œil du lecteur avec ce rouge éclatant et un peu terni, cette zone de terre assez vague et cette silhouette de dos, qui s’éloigne du lecteur, visiblement un homme en souffrance se tenant le ventre et perdant son sang. Le titre s’avère tout aussi énigmatique : La vache brûlée, et il constitue une image dérangeante. En effet, la mise en couleurs repose sur des choix tranchés et audacieux, mis en œuvre également dans les pages intérieures. L’artiste réalise une colorisation de type naturaliste pour les séquences de jour en extérieur, tout en jouant sur un léger décalage (le ciel crème pour la traversée du ferry) et sur les contrastes (la foule noyée dans une ombre violette sur le quai de débarquement). Il utilise majoritairement des aplats de couleurs, plutôt que des dégradés, apposés en respectant les bordures formées par les traits encrés, et en même temps un aplat peut ne pas remplir complètement une surface détourée, étant alors complété par un autre d’aplat d’une couleur différente. Sous la lumière artificielle ou la nuit, tous les chats ne sont pas gris. L’artiste a recours à une mise en couleurs expressionniste, avec des contrastes très tranchés. Le rouge projeté par une lumière artificielle sur les tuyaux dans la grange baignant dans un vert bleu. Le violet profond de la nuit s’opposant au bleu entre turquoise et aigue marine de la lumière des phares ou des ampoules de la cabine.



Ces teintes participent à l’ambiance bizarre et étrange tout du long de l’album : vues de la rue les lumières vertes ou rouges des fenêtres des maisons, dans la boîte de nuit la cohabitation entre les rouges, les verts, les bleus, les violets, dans les toilettes tout passe en violet. Le lecteur s’en trouve un peu déstabilisé se demandant s’il doit voir quelque chose de particulier dans ces choix d’éclairage non conventionnels. Les questionnements proviennent également des images dès la première. À commencer par le cadrage en plan rapproché sur ces éléments d’une installation de plus grande ampleur : que faut-il comprendre de ce gros plan, sans avoir une vision du tout ? Vient ensuite le sort de la grenouille écrasée sur la route : faut-il y voir une métaphore de ce qui attend les personnages, se déplaçant par automatisme, sans aucune maîtrise sur leur destin, sans compréhension aucune des forces à l’œuvre autour d’eux ? Par la suite, les auteurs mettent en scène d’autres animaux : ce chien que le dessinateur rend des plus agressifs, même le lecteur est rassuré qu’il soit solidement attaché (tout en craignant que le lien ne rompe). Après quelques autres grenouilles, apparaissent un hibou, une vache qui connaît un sort funeste, des mouettes (dont une qui mange une grenouille), un oiseau de proie haut dans le ciel. L’artiste n’humanise en rien ces animaux qui conservent toute leur étrangeté animale, les laissant hors de portée de l’empathie du lecteur. Le lecteur observe cette vache qui est la proie des flammes : il est évident qu’elle souffre, et en même temps la prise de vue en fait presque un objet de vénération ou une victime sacrificielle. Le lecteur envisage alors ces manifestations du règne animal comme des signes de la nature. Mais qui disent quoi ?



La lecture oscille alors entre un défi ludique et des sensations à ressentir. Bon d’accord, des grenouilles et un chien. La prolifération des premières peut s’interpréter comme le signe d’un écosystème spécifique à la région de Saint-Elme. Le chien peut se voir comme le symbole d’un animal captif qui a développé une haine envers le genre humain tant qu’il ne recouvrera pas sa liberté, avec la possibilité de faire un parallèle avec Katyé, également captif. L’œil dessiné en rouge sur la fenêtre ? La mention d’un derviche ? L’animal de compagnie inhabituel de madame Dombre (et d’ailleurs ce nom, d’ombre) ? La cérémonie avec la vache qui finit par prendre feu, ce qui correspond au nom de l’auberge La vache brûlée, simple synchronicité ? La cicatrice permanente de Romane Martens, brûlée par une bouilloire renversée quand elle avait douze ans, simple coïncidence ? À ce petit jeu, les auteurs se montrent redoutables, et le lecteur n’a aucune chance. Il voit bien que certaines mentions, certains éléments prennent tout leur sens quelques pages plus loin. Un petit trafiquant mentionne le nom de Stan Sax dans la même phrase que celui d’Arno Cavaliéri, et le lecteur comprend plus loin comment se positionne la séquence du chalet dans tout ça. Mais doit-il retenir le nom de Curzon dont le conducteur indique qu’il est à l’hôpital ?



Le scénariste a acquis un niveau expert pour mener le lecteur par le bout du nez : il n’utilise que des phrases courtes, avec des objets, des noms, comme ça en passant, et le lecteur ne dispose d’aucun moyen de savoir s’il s’agit d’un détail sans importance, ou au contraire d’un indice dont l’importance sera révélée ultérieurement. Dans ces informations, qu’est-ce qui relève du bruit et qu’est-ce qui constitue un signal essentiel ? Cela rend la lecture aussi ludique qu’addictive par le réflexe participatif qu’elle provoque mécaniquement chez le lecteur. Le dessinateur s’avère tout aussi habile à intégrer un élément visuel de manière négligée, induisant également des tentatives d’identification des schémas chez le lecteur : la case avec les quatre verres vides sur une table (Ah oui d’accord, les trafiquants sont quatre), les passagers sur le ferry, les anonymes dans la rue, les graffitis sur les murs, faut-il prendre le temps de les examiner pour les mémoriser ? Les animaux dans la vitrine du taxidermiste ? Les photographies au mur de la grande salle de l’auberge de La vache Brûlée ? Pour ces dernières, c’est facile, grâce à l’insistance du regard de Romane Mertens. La mention de la mère d’Arno Cavaliéri ? Et pourquoi pas le port de lunettes de soleil par Franck Sangaré ? Après tout, chaque détail peut être signifiant, en application du principe du fusil de Tchekhov.



Dans le même temps, le lecteur peut très bien prendre l’histoire au premier degré, sans se prêter au jeu des indices qui sont peut-être signifiants, ou peut-être pas. Il suit alors Franck Sangaré dans une enquête pour retrouver un jeune homme disparu, un monsieur pas commode, assez sec, très capable d’intimider et de recourir à la violence quand il le faut, faillible (il se fait avoir deux fois avec un coup asséné sur la tête par derrière), une femme qui l’assiste quand elle peut (avant de se fouler la cheville). De rencontre en entretien, ils côtoient des individus issus de différentes couches de la société, et ils mettent leur nez dans des petites combines et dans des gros coups, faisant apparaître au grand jour les véritables intérêts qui façonnent la ville de Saint-Elme, un vrai polar.



Bienvenu à Saint-Elme pour enquêter sur la disparition d’Arno Cavaliéri, une petite ville thermale, avec une population de grenouilles anormalement élevée. La narration visuelle jette littéralement un éclairage inhabituel sur les scènes nocturnes et manie les zones de noir pour donner plus de profondeur à l’étrangeté et au mystère. Les auteurs sont des maîtres en matière de bizarreries, entre indices et altérité inquiétante, le lecteur se retrouvant implacablement à jouer aux devinettes entre signifiant, métaphore, et indices.
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Saint-Elme, tome 4 : L'oeil dans le dos

C'est vraiment de ces bd dont on devrait attendre l'intégrale pour les lire. C'est stressant, car on sent bien qu'il y a plusieurs intrigues qui vont bien finir par se rassembler et l'attente du dénouement est insupportable, bon j'exagère, mais c'est énervant car enfin les tomes sont courts et cela donne a penser que l'auteur nous en rajoute alors que ce n'est certainement pas le cas, mais voilà c'est énervant ;-)
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Saint-Elme, tome 5 : Les Thermopyles

Aujourd’hui, l’heure sonne de la conclusion de ce long délire narratif et graphique dont on saluera la folle audace sans se faire prier.
Lien : https://www.tdg.ch/notre-sel..
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Saint-Elme, tome 4 : L'oeil dans le dos

Il n'est pas très aisé de lire une série lorsqu'on débute par le quatrième tome. On ne connaît ni les personnages et ni le contexte. On se laisse porter en acceptant de ne pas avoir toutes les références. Les personnages forts ne manquent pas. Une enfant arrive et semble être quelqu'un de clé avec son étrange tatouage dans le dos. Elle fait partie d'une galerie où l'on trouve des personnages décalés, charismatiques, loufoques, addictes, stratégiques, menteurs... Le tout avec son lot de bizarre, magique et captivant. Un homme va t'il se transformer en loup garou? Le motif de l'oeil est-il annonciateur de quelque chose de tragique? Le derviche à l'aspect ahuri cache un étrange passé, lequel? Par conséquent, nous avons un lot de cadavres et d'actions pour en augmenter le nombre. On pourrait se demande ce que fait la police. Pour l'instant, pas grand-chose.



Le graphisme est très standard et très lisible. Les couleurs par contre elle montre de l'audace. On a des mélanges de teintes utilisées avec beaucoup d'ingéniosité qui oscille avec flashy ainsi que dense et sombre. La mise en page est dynamique avec des changements plans permettant de créer du s'immerger dedans. Tout a été très bien construit et sans rien laisser de côté. On sent qu'il y a eu un vrai travail et une collaboration bienveillante. Donc il va falloir tout relire dans l'ordre et jusqu'au bout.
Lien : https://22h05ruedesdames.com..
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