Quelle valeur possède pour nous un tableau en regard d’un poème ou d’un roman ? Comment résonne-t-il en nous ? En quoi les œuvres que nous aimons nous sont-elles essentielles ? Les artistes les ont mises au monde dans l’enthousiasme et un élan de vie, ou dans un mouvement de désespoir, par le travail patient ou l’illumination soudaine. Créer les mobilise tout entiers et, même si parfois ils touchent la souffrance profonde, ils se trouvent portés au somment d’eux-mêmes. Nous recevons de ces œuvres leur rayonnement, nous sommes immergés dans la lumière, éclatante, ou sourde, ou noire, dans laquelle elles sont nées et dont elles sont porteuses.
Les arts, si divers soient-ils dans leur fonction, la matière qu’ils travaillent, les techniques qu’ils emploient, partagent des exigences communes. Peinture, sculpture, architecture, littérature, théâtre, musique, danse, cinéma, impliquent tous une certaine composition (malgré parfois le désordre apparent) ; un rythme (plus ou moins rapide, marqué, continu, varié, répétitif…) ; un ton (qui touche et provoque nos sentiments : joie, tristesse, mélancolie, exubérance, qui nous incite à la réflexion, au souvenir, à l’activité, à la participation collective…). De plus tous ces arts recourent à des procédés (voire à des figures rhétoriques) identiques : répétitions, symétries et asymétries, analogies et contrastes…
Nous ne pouvons nous étonner de l’existence de ce fonds commun à tous les arts. Il a ses racines dans les structures de l’imaginaire : rêves, fantasmes et rêveries, fables et récits mythiques, symboles, œuvres artistique en sont les manifestations.
Littérature et peinture : ce « et » rapproche, réunit, coordonne. Cela semble aller de soi mais nous entrevoyons déjà les sens multiples que prend ce mot. Il relie comment, où, à quels niveaux ?
…
N’importe quel objet culturel peut être rapproché d’un autre : on a pu voir des analogies entre un clocher gothique et les coiffures coniques que portaient les femmes nobles au Moyen Âge, entre l’art des jardins et la versification pratiqués en Angleterre au XVIIIe siècle
Il y a quinze ou vingt millénaires, dans les ténèbres que dissipait à peine la lumière des torches, des hommes traçaient avec du charbon et de l’ocre de grandes silhouettes d’animaux sur la paroi des cavernes. … Aujourd’hui nous admirons mais ne comprenons pas … Pourquoi la peinture ? … Prémisses d’une écriture sans doute, amorces de textes, rudiments d’une littérature …
Tout dormait encore dans l’immense édifice. Je pourrais
sortir sans grand risque de rencontres. Une fois de plus
je pris sur la tablette le flacon de cristal taillé et le fis
miroiter devant la bougie que j’avais laissé filer toute la nuit.
Je respirai le parfum de vétiver comme un hommage à l’occu-
pante absente de la chambre, ou un remerciement à son invo-
lontaire hospitalité. Cependant je ne rebouchai pas le flacon,
afin que le parfum s’en évapore. Je soufflai la bougie.
Avant de tirer la porte sur moi, j’hésitai un instant : devais-
je laisser la clef dans la serrure ou la retirer ? Je la tournai fina-
lement avec le moins de bruit possible et la déposai sur le
linteau. Ainsi le gardien ne remarquerait rien pendant sa ronde
et l’occupante pourrait entrer à son retour. C’était là bien des
scrupules, pourrait-on penser, alors que j’en avais eu si peu
à prendre possession de ce lieu où, en fin de compte, j’étais
l’intrus.
Le danger, s’il existait, devait être d’une autre nature.
Venant de nulle part, sans bagage, je m’étais livré pendant long-
temps aux délices des départs à l’aube. J’oubliais les noms, les
visages, les décors, je ne voulais pas regarder derrière moi.
Quand j’avais reposé le flacon de parfum dans la chambre vide,
tourné la clef dans la serrure, approché du canal aux pêcheurs,
tous ces gestes étaient-ils donc sans conséquence ? Ne faisaient-
ils que s’enfiler à l’aventure ? Je pensais sans cesse à m’évader
alors que sans cesse je revenais sur les mêmes traces qui étaient
mes lieux communs. Je cultivais la phrase en suspens comme
un fil de la vierge.
Le quartier s’animait imperceptiblement par quelques pas-
sants, démarcheurs ou livreurs dans leurs véhicules, mais il
gardait cette atmosphère que j’aimais, entre la torpeur de la nuit
qui enveloppe une ville et la jouissance de la parcourir, silen-
cieux et libre, un des premiers, peut-être le seul aux yeux
ouverts.
Ce qui fait la force de l'oeuvre de Giono ,c'est d'abord ce qu'elle trouve en l'homme de plus grand que l'homme.Comme Melville,comme Faulkner ,Giono est l'un de ceux qui ont réussi à sortir le roman de l'ornière psychologique. Il a restitué à l'homme sa véritable dimension ,l'univers,et l'a ainsi à la fois humilié et grandi .[Le Clezio]