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3.7/5 (sur 5 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Charleville , 1860
Mort(e) à : Neuilly-sur-Seine , le 20/06/1917
Biographie :

Isabelle Rimbaud est la sœur cadette d’Arthur Rimbaud et épouse de Pierre Dufour (1855-1922) artiste connu sous le pseudonyme de Paterne Berrichon.

Elle serait la dernière personne à avoir dessiné son frère mourant.

Elle a été la légataire universelle d'Arthur Rimbaud.

1921 "Reliques (Rimbaud mourant, Mon frère Arthur, Le Dernier voyage de Rimbaud, Rimbaud catholique)"
2009 "Rimbaud mourant"
2015 "Mon frère Arthur"

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Bibliographie de Isabelle Rimbaud   (3)Voir plus

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Citations et extraits (10) Ajouter une citation
Pour la nuit on lui fait une piqûre de morphine.
Eveillé, il achève sa vie dans une sorte de rêve continuel : il dit des choses bizarres très doucement, d’une voix qui m’enchanterait si elle ne me perçait le cœur. Ce qu’il dit, ce sont des rêves, - pourtant ce n’est pas la même chose du tout que quand il avait la fièvre. On dirait, et je crois, qu’il le fait exprès.
Comme il murmurait ces choses-là, la sœur m’a dit tout bas : « il a donc encore perdu connaissance ? » Mais il a entendu et est devenu tout rouge ; il n’a plus rien dit, mais, la sœur partie, il m’a dit : « On me croit fou, et toi, le crois-tu ? » Non, je ne le crois pas, c’est un être immatériel presque et sa pensée s’échappe malgré lui.
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Ce n'est pas étourdiment que j'ai dit qu'il est mort comme un saint. Quand il s'est sanctifié, il y a apporté la même ardeur qu'auparavant à tout ce qu'il avait fait. On peut sans crainte faire entrer, dans la relation de ces derniers jours, extases, miracles, surnaturel et merveilleux, on restera toujours au-dessous de la vérité
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Roche, 28 octobre 1892

Je l’ai vu ici venu dans notre maison pour la dernière fois. Inoubliables journées, veilles et nuits qui ne reviendront plus jamais, jamais, jamais !

J’ai soutenu son corps chancelant. J’ai porté dans mes bras ce corps souffrant et défaillant. J’ai guidé ses sorties, j’ai surveillé chacun de ses pas ; je l’ai conduit et accompagné partout où il a voulu ; je l’ai aidé toujours à rentrer, à monter, à descendre ; j’ai écarté de son unique pied l’embûche et l’obstacle. J’ai préparé son siège, son lit, sa table. Bouchée à bouchée, je lui ai fait prendre quelque nourriture. J’ai mis à ses lèvres les coupes de boisson, afin qu’il se désaltérât.

J’ai suivi attentivement la marche des heures, des minutes. À l’instant précis, chacune des potions ordonnées lui a été par moi présentée : combien de fois par jour ! J’ai employé les journées à essayer de le distraire de ses pensées, de ses peines. J’ai passé les nuits à son chevet : j’aurais voulu l’endormir en faisant de la musique, mais la musique pleurait toujours. Il m’a demandé d’aller, en pleine nuit, cueillir le pavot assoupissant, et j’y suis allée. J’avais peur, seule, loin de lui. Dans les ténèbres, je me suis hâtée ; puis j’ai préparé les breuvages calmants, qu’il a bus... Et les veilles recommençaient, durant jusqu’au matin ; et quand il se mettait à dormir, je restais encore près de lui à le regarder, à l’aimer, à prier, à pleurer. Si je m’en allais, à l’aurore, sans bruit pourtant, il se réveillait aussitôt et sa voix, sa chère voix, me rappelait. Et je réaccourais tout de suite près le lui, heureuse de pouvoir le servir encore.

Que de fois, au cours des matinées, quand enfin il goûtait quelque repos, je suis restée des heures, l’oreille collée contre sa perte, épiant son appel, épiant son souffle !

Nulles mains que les miennes ne l’ont soigné, ne l’ont touché, ne l’ont habillé, ne l’ont aidé à souffrir. Jamais mère n’a pu ressentir une plus vive sollicitude envers son enfant malade... Il me parlait du pays qu’il venait de quitter ; il me racontait ses travaux. Il rappelait mille souvenirs aussi du passé, du bonheur perdu ; et ses larmes se mettaient à couler, amères, abondantes. J’essayais de calmer son chagrin ; mais je ne le pouvais, sachant bien moi-même que jamais plus la vie ne lui sourirait ; et, impuissante à le consoler, regardant, muette, tomber ses pleurs, je voyais en même temps se creuser, chaque jour davantage, ses joues pâles et s’altérer son admirable visage.

Il me demandait souvent en place de qui, lui si bon, si charitable, si droit, pouvait bien endurer tous ces maux atroces. Je ne savais quoi lui répondre. J’avais peur, et j’ai peur encore, que ce ne fut en ma propre place.

Hélas !

Je l’ai aidé à mourir, et lui, avant de me quitter, il a voulu m’enseigner le vrai bonheur de la vie. Il m’a, en mourant, aidée à vivre.

II
Là-bas, par delà les mers, dans des montagnes de l’Ethiopie, sous le soleil torride, par le vent brûlant qui dessèche les os et altère les moelles, que de fatigues il a endurées ! Nul Européen n’a essayé jamais avant lui d’accomplir les travaux auxquels il s’est astreint. Que d’efforts incessants ! Que de marches !

Oh ! ce fatal voyage de Tadjourah au Choa et en Abyssinie [13]. Quel souffle mauvais a-t-il respiré dans ces funestes régions ? Quel ange malin l’y avait donc conduit ? Pendant plus d’une année, oui, pendant plus d’une année, il a subi là, en son corps comme en son esprit, toutes les épreuves, tous les ennuis possibles. Et, en retour, quelle compensation ? Ce furent tous les désenchantements : un complet désastre.

La maladie avait rôdé autour de lui. Tel un reptile venimeux, elle l’avait enlacé, et, peu à peu, insensiblement mais sûrement, elle devait le conduire, sans qu’il s’en fût aperçu, à la catastrophe finale.

— Allons, courage ! Tu n’as pas été heureux auprès du roi [14] : eh ! bien, redouble d’efforts, multiplie tes facultés, sors des voies ordinaires. N’as-tu pas le don d’intelligence, le don de force ? Non pas l’intelligence et la force du commun des hommes, oh ! non. Il y a en toi un génie exceptionnel. L’étincelle divine départie à chacun de nous est dans ton âme un foyer incandescent, une lumière éblouissante qui pénètre tout, partout. Et ce qui fait ta force, c’est la volonté, puissante et hardie à laquelle tu soumets tes muscles et ta pensée, sans écouter leurs plaintes ni leur besoin de repos. Travaille, toi qui as déjà tant travaillé ; instruis-toi, toi qui es une encyclopédie vivante ! Après les journées harassantes, passe une partie des nuits à étudier les multiples idiomes africains, toi qui parles couramment toutes les langues d’Europe ! Ne trouve aucun goût au boire, au manger, à tous les plaisirs dont se repaissent les autres blancs ! Prends bien garde ! Mène une vie ascétique !... Quelques minutes suffisent pour tes repas et, pendant onze années, tu ne te désaltères que d’eau [15]. Quand tu réunis des amis, c’est uniquement pour causer avec eux d’affaires, de nouvelles les intéressant tous. Un peu de musique, parfois, beaucoup de lumières ; mais, toujours, et gouvernant tout, ta conversation incomparable, qui sait par soi seule éclairer, égayer, charmer ceux qui ont l’honneur d’être admis chez toi. La pureté de tes moeurs est devenue légendaire. Jamais aucun être de luxure n’a franchi ton seuil et tes pieds jamais n’ont pénétré dans un lieu de joie... Sois, bon, sois généreux !... Ta bienfaisance est connue, au loin même. Cent yeux guettent tes sorties quotidiennes. À chaque détour de chemin, derrière chaque buisson au versant de chaque colline, tu rencontres des pauvres. Dieu, quelle légion de malheureux ! Donne à celui-ci ton paletot, à celui-là ton gilet. Tes chaussettes, tes souliers sont pour ce boiteux aux pieds ensanglantés. En voici d’autres ! Distribue-leur toute la monnaie que tu as sur toi, thalaris, piastres, roupies. Pour ce vieux grelotteux, n’as-tu plus rien ? Si. Donne ta propre chemise. Et quand tu seras nu, si tu rencontres encore des pauvres, tu les ramèneras à ta maison et tu leur distribueras les aliments de ton repas. Bref, tu te déposséderas de tout superflu et même du bien être pour venir en aide à tous ceux qui, sur ton passage, ont faim ou froid... Pour toi-même, sois strictement économe ! Point de dépenses inutiles, pas de luxe surtout. Qui a construit, fabriqué les meubles de ton logis ? C’est toi. Tu possèdes donc aussi le secret des artisans ? De même, tu connais l’art du cultivateur : tu as mis en terre des semences d’Europe, et dans tes jardins de caféiers, parmi tes plants de bananiers, s’entremêlent, vigoureux, magnifiques, les légumes les plus exquis des potagers d’Occident. C’est que ton industrie, ton travail sont féconds dans tous les sens... Quel est ce jeune indigène qui vaque aux soins, divers de la maison, de la cour et des magasins ? C’est ton serviteur fidèle, celui qui, depuis huit ans, te vénère et te chérit en t’obéissant. C’est Djami.

O mon aimé, qui pourrait te haïr ? Tu es la bonté, la charité mêmes. La probité et la justice sont de ton essence. Et puis, il y a en toi un charme indéfinissable. Tu répands autour de toi je ne sais quelle atmosphère de bonheur. Partout où tu passes, on respire un parfum délicieux, subtil, pénétrant. Quels talismans portes-tu ? Es-tu magicien ? Quels secrets moyens emploies-tu pour conquérir ainsi les coeurs et les volontés ? Quelles ailes puissantes t’es-tu créées pour planer comme tu le fais au-dessus de tous ?... Mais, quelles folies dis-je là ? Tu es bon, voilà toute ta magie, ô cher être prédestiné !... Es-tu heureux, au moins ? Non. Le pays de tes rêves n’est pas sur cette terre. Tu as parcouru le monde sans trouver le séjour correspondant à ton idéal. Il y a dans ton âme et dans ton esprit des perspectives et des aspirations plus merveilleuses, que ce que peuvent offrir les contrées les plus séduisantes d’ici-bas.
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2

Mais on s’attache malgré soi aux pays où l’on a le plus peiné, le plus souffert, tout en y faisant le bien. C’est pourquoi Aden, Harar sont deux noms désormais inscrits dans ton coeur. Ils auront tué ton corps. Qu’importe ? Ton souvenir y voudra rester jusqu’au delà de la mort.

Aden, roc calciné par un soleil perpétuel ; Aden, où la rosée du ciel ne descend qu’une fois en quatre ans ! Aden, où ne croit pas un brin d’herbe, où l’on ne rencontre pas un ombrage ! Aden, l’étuve où les cerveaux bouillent dans les crânes qui éclatent, où les corps se dessèchent !.. Oh ! pourquoi l’as-tu aimé cet Aden, aimé jusqu’au désir d’y avoir ton tombeau ?

Harar, prolongement des montagnes abyssines : fraîches collines, vallées fertiles ; climat tempéré, printemps perpétuel, mais aussi vents secs et traîtres pénétrant jusqu’à la moelle des os... L’as-tu assez exploré, ton Harar ? Il y a-t-il dans toute la région un coin qui te soit inconnu ? À pied, à cheval, à mulet, tu es allé partout... Oh ! les cavalcades insensées à travers les montagnes et les plaines ! Quelle fête de se sentir emporté vite comme le vent parmi des déserts de verdures ou de rocs ; de parcourir, plus vif qu’un fauve, les sentiers des forêts ; d’effleurer légèrement, comme un sylphe, le sol mouvant des marais !.. Et tes marches intrépides, défiant les indigènes en hardiesse, en souplesse, en agilité... Quelle joie de s’élancer front découvert, à peine vêtu, dans des vallées aux luxuriantes végétations ; de gravir des montagnes inaccessibles ! Quelle fierté de pouvoir se dire : « Moi seul ai pu monter jusqu’ici, nuls pieds que les miens n’ont foulé ce sol jusqu’à présent inexploré » ! Quel bonheur, quel délice de se sentir libre, de parcourir sans entraves, par le soleil, par le vent, par la pluie, les monts, les vaux, bois, rivières, déserts et mers !... O pieds voyageurs, retrouverais-je vos empreintes, dans le sable ou sur la pierre ?...

Retrouverais-je surtout les traces de ces travaux exécutés avec un courage inouï ? Les innombrables charges de café, les masses précieuses d’ivoire, et ces parfums si pénétrants d’encens, de musc, et les gommes, et les ors, - tout cela acheté sur d’immenses étendues de pays, après des courses épuisantes ou des chevauchées qui brisent les membres. Et ce n’est rien que d’acheter. Quand les naturels ont livré leurs produits, ne faut-il pas les peser, les soumettre à diverses préparations, les emballer soigneusement pour les expédier par caravanes à la côte, où ils n’arrivent au complet et en bon état qu’au prix de mille soins, de mille soucis et de mortelles angoisses ? Ce que deux bras, énergiques comme jamais ne le furent d’autres bras, ont fait, sans se décourager ni se reposer, au cours de onze années, qui pourrait l’énumérer ? Qui pourrait expliquer les ingénieuses combinaisons de ce cerveau plus complet que nul autre ? Puis, que d’ennuis, que de tourments au milieu des nègres fainéants et obtus [16] ! Que d’inquiétudes durant les longs jours que mettent les caravanes à traverser le désert ! Les chameaux et les mulets de charge, portant une fortune, sont confiés à la garde et à la direction de l’Arabe entrepreneur de transports. Mille périls guettent dans les solitudes de la route. Outre les pluies et les vents, ce sont les bêtes fauves, lions, panthères ; ce sont surtout les Bédouins, tribus errantes et malfaisantes, les Dankalis, les Somalis... Et, tandis que la caravane s’avance lentement vers la mer, le maître, le négociant, resté à sa factorerie pour opérer de nouvelles transactions et réunir les éléments d’un nouveau convoi, songe sans cesse avec terreur que le fruit de son labeur de géant est, à chaque minute des jours et des nuits, exposé à être perdu sans recours. Il sent sa cervelle se contracter d’angoisse, et la fièvre parcourt son corps. Nuit à nuit, ses cheveux blanchissent. Il suppute le chemin parcouru et celui qui reste à parcourir, tandis que l’inquiétude le dévore. Et ce supplice durera un long mois, temps pour le moins nécessaire à l’aller et retour de l’expédition.
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IV
Et les retours ! Ah ! quelles joies délirantes ! Le bonheur de se retrouver entière et parfaite, après avoir subi longtemps l’absence de la meilleure partie de soi-même ! Car il était bien supérieur à moi ; il me dominait, comme le plus beau et le plus noble arbre de la création dominerait le moindre des brins d’herbe. Mais il m’aimait tendrement ; et je m’étais attachée à lui telle qu’une petite poussière d’argent qu’un artiste divin aurait coulée dans le moule d’une colossale statue d’or.

Sans les avoir jamais lues, je connaissais ses oeuvres. Je les avais pensées. Mais moi, intime, je n’aurais pu les exprimer dans son verbe magique. J’admirais et je comprenais voilà tout.

Je suis sortie de l’enfance comme il entrait dans l’âge viril. Nous possédions la plénitude de notre force physique et de nos facultés intellectuelles. Alors la destinée nous a séparés. Des milliers de kilomètres s’allongèrent entre lui et moi.

Chacun de nous avait, séparément, à poursuivre le bien et le beau, l’honneur du présent et la sécurité de l’avenir. Nous avions, lui comme homme, moi comme femme, des aspirations modestes et saintes, les premières et juvéniles ambitions s’étant éteintes. Nous voulions tout bonnement avoir le droit de vivre en plein soleil, dans les champs sacrés de la famille, de la dignité, du devoir.

Onze années consécutives, nous avons poursuivi notre but sans défaillir un instant, si occupés chacun de notre côté que, sans nous oublier, nous nous parlions à peine, de loin. Personne au monde n’a fait l’effort que nous avons fait ; personne n’a eu notre persévérance, notre courage. Les fatigues corporelles que nous avons l’un et l’autre endurées sont inouïes, en dehors des ordinaires possibilités humaines. Les transes morales sous lesquelles nous avons vécu n’ont jamais été subies aussi courageusement par les autres mortels. Toujours nous avons travaillé sans faiblesse, sans hésitation, sans nous permettre la moindre distraction, le plus petit relâchement. Nous n’avons goûté aucun des plaisirs dont ne se privent pas les jeunes gens. Aucune existence n’a été aussi austère que la nôtre. Les Carmélites, les Trappistes ont plus de jouissances que nous ne nous en sommes donné. Et ce n’était ni par sauvagerie, ni par avarice que nous menions ce genre de vie. C’était parce que nous étions absorbés par la vision du but saint et noble, et nous concentrions tous nos efforts vers ce but. Nous avons été bons, charitables, généreux. Nous, ne pouvions voir la misère et l’infortune sans nous apitoyer et sans les secourir dans la mesure de nos forces. Nous étions probes. Que celui à qui nous avons fait tort volontairement se lève et nous jette la pierre !

Nous croyions à la vertu des autres, parce que la nôtre était inébranlable ; et nous ne pouvions soupçonner que ceux-là mêmes qui auraient dû nous aider, nous soutenir et nous aimer, pouvaient nous trahir, nous mentir et nous briser. Nous avions horreur du mensonge, et nous aimions, oui, nous aimions notre prochain comme nous-mêmes. Ah ! nous étions bien naïfs pour le siècle... Mais, taisons-nous, ne nous amollissons pas ! Ce que nous avons cru et fait est bien. Et, s’il fallait recommencer la vie, nous agirions encore de même.
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V
Tel un palais splendide qu’un architecte au génie unique aurait édifié pierre à pierre, avec un amour et une persévérance merveilleux, et qui, arrivé au faite, tandis qu’il attacherait à la coupole le dernier emblème doré, se croyant par une édification aussi glorieuse à l’abri des secousses de la vie, sentirait tout à coup s’écrouler l’oeuvre l’ensevelissant sous des monceaux de matières précieuses : telles nos espérances et notre avenir se sont brisés soudainement ! Le monument élevé avec tant de peine et de soins s’est effondré sur nos têtes, et nous voici blessés à mort parmi les décombres... Implacable dérision ! ... Ç’a été le naufrage dans le port ; la foudre qui détruit en un clin d’ ?il la cathédrale que des générations ont laborieusement terminée ; la grêle qui, au premier jour de la moisson, saccage en un instant les trésors amassés par le soleil et les rosées de toute une année. Jeunesse, travail, prospérité, santé, vie, tout est perdu, tout est fini.

Et c’est ainsi que, à mille lieues de distance l’un de l’autre, lui dans un pays de nègres, sous un soleil d’or et des ombrages enchantés, moi dans une obscure et froide campagne française, nous avons, presque au même moment, à l’instant précis où le but Saint allait être enfin atteint, éprouvé, dans un ordre différent et polir des raisons différentes, l’anéantissement irrémédiable de nos radieux espoirs, pourtant si légitimes. Pour nous deux, en même temps, l’heure du Malheur, irrévocable, a sonné...


[19] Rimbaud voyage en Italie au printemps 1875 (Milan) en septembre 1877 (Rome), automne 1878 (Gênes).

[20] Rimbaud passe par le Saint-Gothard en novembre 1878, voir la longue lettre du 17 novembre 1878 où il décrit l’ascension et la traversée (éd. Pléiade, pp. 467-470).

[21] Rimbaud se rend à Java en 1876, engagé dans l’armée hollandaise. C’est à Java qu’il désertera.

[22] C’est sur le navire anglais qui le ramène de Java que Rimbaud connaît en effet une très violente tempête le 30 septembre 1876.

[23] Note d’Eric Marty : Première publication sous le titre, plus approprié de Rimbaud mystique dans le Mercure de France, 16 juin 1914.
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III

Depuis lors, je l’ai suivi partout à travers le monde, en pensée, en souffrance, en joie, sans y forcer ma volonté, presque malgré moi. Aux mauvais jours, quand il endurait le froid, la faim, je souffrais avec lui. Mon esprit anxieux ne pouvait se reposer nulle part. Positivement, oui, je sentais une part de moi-même en détresse.

J’ai vécu de même des nuits d’égarement et de délire. Mon âme, offensée, pleurait. J’entendais des harmonies étranges, des bruissements mystérieux. Des visions vagues et douloureuses dansaient devant moi. Ces nuits-là, des voiles de neige entouraient mes sens et mon imagination. Je ne saurais définir mes impressions. Je frissonnais et la fièvre me brûlait.

J’étais avec lui, dans le brouillard gris ou le soleil pâle de Londres [18], sous le ciel bleu d’Italie [19], dans les neiges du Saint-Gothard [20]. Je suivais avec lui les grandes routes. Nous traversions des bois, des prairies. Un mois durant, nous avons erré dans l’atmosphère brûlante de Java [21]. Mes yeux sont encore pleins des choses et des paysages merveilleux de ce pays. Je vois encore les insulaires tout petits et jaunes dans l’éblouissement de leur campagne... J’étais encore à côté de lui au cap de Bonne-Espérance, quand l’horrible tempête s’apprêtait à l’engloutir [22]. Je fermais les yeux d’épouvante, ma tête se brisait : j’étais sur le point de sombrer aussi.
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II
L’oublier, moi ! Pourrais-je oublier mon bonheur, oublier - celui qui a fait naître mon âme à une vie divine ! Est-ce qu’il n’est pas partout et tout dans les horizons merveilleux qu’il m’a découverts, lui, mon ange, mon saint, mon élu, mon aimé, mon âme ! .. Oui, plus j’y réfléchis, plus je crois qu’à nous deux nous avions la même âme. Lui mort, il n’est pas sûr que je pourrai vivre.
Je me revois toute petite, à l’époque de son premier départ, en septembre 1870. C’était le soir, bien tard. Sous les grandes allées de marronniers, à Charleville, la foule en tumulte se pressait pour avoir des nouvelles de la guerre, et l’on ne parlait, hélas ! que de défaites. Tout à coup, au-dessus de toutes les rumeurs s’éleva un chant mâle et solennel, vibrant appel aux armes pour la patrie. Je n’ai jamais su quels artistes avaient, cette nuit-là, entonné ces accents sublimes. Je n’avais et n’ai depuis entendu rien d’aussi beau, d’aussi émouvant. Mais moi, petite, grain de poussière dans la foule, je n’appliquai pas ce chant à la France en danger. La moitié de mon âme m’était ravie, partie avec Lui loin du foyer, de la sécurité ; et les sanglots de désespoir s’échappant de ma poitrine attestaient déjà l’énorme part de moi-même qui avait fui.
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Étendu pour toujours, souffrant sans répit sur son lit de douleur le plus atroce martyre, du fond de sa petite chambre d’hôpital assombrie par le voisinage de la galerie de pierre et des platanes touffus, que d’enseignements il m’a donnés ! En quatre mois, il m’a plus appris que d’autres en trente années. Je lui dois de savoir aujourd’hui ce que c’est que le monde et la vie, le bonheur et le malheur. Je vois ce qu’est vivre, ce qu’est souffrir, ce qu’est mourir. Je connais aussi ce délice qu’on nomme le dévouement, et, par-dessus tout, j’ai senti l’ineffable allégresse d’aimer absolument un être de mon sang et sacré, - oh ! la tendresse fraternelle, d’essence pure et divine ! - de l’aimer dans la joie, dans l’épreuve, dans le malheur, m’élançant d’esprit et de c ?ur vers lui ; de l’aimer dans la souffrance et la maladie, en ne le quittant plus ; de l’aimer dans l’agonie et dans la mort, en l’assistant sans faiblir, et par delà la mort, en exécutant sa volonté, ses simples recommandations, et, si Dieu voulait, en mourant peu après lui, de la même mort que la sienne, pour aller dormir là-bas, près de lui, et rassurer ainsi son âme inquiète qui craint que sur cette terre je ne l’oublie.
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3

Durant ces transports aventureux, la plupart des négociants ont subi des pertes, souvent considérables. Argent, marchandises, parfois même serviteur et bêtes de somme, devenaient le butin des maraudeurs du désert. Mon bien aimé frère, lui, n’a jamais rien perdu ; il est sorti victorieux de toutes les difficultés. C’est que la plus heureuse audace présidait à ses entreprises, qui, toutes, réussissaient au delà de ses espérances ; c’est que sa réputation de bienfaisance s’était répandue de montagne à montagne, si bien qu’au lieu de s’emparer des richesses de celui qu’ils nomment « le Juste », « le Saint », les nomades Bédouins se concertaient pour protéger chacune de ses caravanes.

L’or s’amasse, la fortune vient, elle est arrivée. L’avenir est sûr. L’ennemi, c’est-à-dire la pauvreté, les besognes maussades, la solitude et l’ennui, l’ennemi est vaincu. Il n’y a plus qu’à étendre la main pour cueillir la palme, la récompense de tant de surhumains efforts...
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