Avec un tel homme, il faut s'attendre à de continuelles surprises. Il n'est déjà plus ce soir ce qu'il était au matin. Il change en un instant, passant du désespoir le plus violent, de l'idée du suicide, à la froide tranquillité de l'homme qui organise un concert et prépare le succès.
Profondément ému de la splendeur de cette incomparable scène, j'ai pleine conscience de la grandeur de l'homme. La répétition marche bien : le regard de Berlioz s'illumine. On y lit la conviction, l'enthousiasme. Il sait et il sent que l'oeuvre est belle, qu'il peut en être fier, que son nom vivra à travers les siècles, en dépit des injustices de l'heure présente.
Le morceau terminé, il remet son masque d'indifférence, murmure quelques paroles à l'oreille de notre chef et, saluant froidement, s'éloigne sans mot dire.
Or, si la musique de Benvenuto est intéressante, originale, belle parfois, comparable et même supérieure à celle des ouvrages qui réussirent à la même époque, — ainsi que l'affirment bientôt les critiques étrangers, Liszt, en tête — il faut bien avouer que le poème est médiocre, et qu'on fit une grande faute en laissant dans le texte des longueurs fatigantes et certaines trivialités qui semblaient braver l'opinion d'un public quelque peu gourmé. Dès que parurent ces mots dangereux, les ennemis aux aguets risquèrent un sourire moqueur et bientôt un léger murmure de protestation, qui n'offusqua pas le public ennuyé. C'était le commencement de la déroute.
On a dit de Berlioz que c'est un romantique. J'accorderai qu'il le fut plus que personne, si l'on veut bien me concéder qu'il y eut là plus d'apparence que de réalité, que le travers fut plus de surface que de fond.
L'été de 1838 est pris par les répétitions de Benoenuto. Tout ce qui, à Paris, s'occupe du mouvement musical, a conscience qu'on est à la veille d'une lutte décisive. En août, paraît un pamphlet, signé de Joseph Mainzer, livre odieux et perfide, tandis qu'aux Débats Frédéric Soulié fait un panégyrique ardent de Berlioz, qu'il place sans hésitera côté des plus grands maîtres. On riposte : la bataille commence avant le lever du rideau.