Quand j'étais chagrinée ou démoralisée, il (Zadkine) me disait souvent: " Dessine. Il n'y a vraiment que le dessin pour remettre d'aplomb. On ne peut se laisser à l'ennui ou à la tristesse si on dessine. " Lui-même remplit deux cahiers de dessins généralement rehaussées de couleurs aux crayons ou à l'encre. Il dessinait souvent dans ces cahiers en attendant des gens auxquels il avait donné rendez-vous. Ainsi appela ces cahiers -En attendant Godot- (du nom de la pièce de Beckett qu'on venait de donner au théâtre) (p.130)
Zadkine s'exclama: " Voilà, vous êtes poète !
Laissez dessins et peintures. Ecrivez...Vous serez poète. Mais, je vous avertis, vous crèverez de faim. (p.19)
Zadkine aimait les arbres particulièrement. Il avait l'impression qu'un arbre souffrait sous les coups de hache ou les morsures de la scie. Jamais, il ne voulut faire abattre un arbre pour faire une sculpture. (p.47)
Il faut que je précise qu'avant celles de Picasso, ce furent les œuvres de Jérôme Bosch, qui, en dépit du parti pris qu'elles contiennent de déformation, de laideur, d'inhumain chez l'être humain, de vice, me parurent admirables.
J'en suis donc venue à penser qu'on pouvait considérer les formes humaines, les déformer, les recréer, les estropier et construire une œuvre "belle". Mais pourquoi ? Comment ? Et j'ai continué à penser, à me questionner. Je pense maintenant que ces difformités dans les sujets peints, dans des nus de Picasso par exemple, me plaisent non pas en tant que difformités (qui seraient affligeantes) ni en tant que femmes nues (qui pourraient être "belles" ou moins "belles") mais, assurément, en tant que formes inventées selon un registre de nouvelles données qui émeuvent toujours autrement.
N'empêche que ce mystère de la "beauté" et celui de ce cheminement personnel qui m'amena à admirer des choses qui m'étaient, ou m'auraient été, repoussantes dans ma jeunesse, je ne les ai pas vraiment éclaircis. Je veux aujourd'hui appeler "beauté" l'objet, la forme, la couleur, le son, qui satisfait en nous un désir de voir et regarder encore ou d'entendre davantage, de posséder le moyen d'exalter en nous le meilleur de nous-même, ce qui donne la satisfaction d'éprouver le besoin d'un amour, ce qui-somme toute- provoque en nous du bonheur. (p. 74-75)
Je veux aujourd'hui appeler "beauté" l'objet, la forme, la couleur, le son qui satisfait en nous un désir de voir et regarder encore ou d'entendre davantage, de posséder le moyen d'exalter en nous le meilleur de nous-mêmes, ce qui donne la satisfaction d'éprouver le besoin d'un amour, ce qui - somme toute - provoque en nous du bonheur.
Zadkine était un homme presque toujours content de vivre, c'est-à-dire de travailler. Les questions d'argent ne le tracassaient pas ; dès qu'il commença à vendre, il s'en désintéressa complètement. Les questions d'honneurs, de médailles et autres récompenses ne le tracassaient pas plus.
Zadkine aimait la matière, bois ou pierre, dans laquelle il sculptait. Toute sa vie, d'ailleurs, il préféra la taille directe au modelage et il avait une connaissance parfaite de ce genre de travail difficile.
Zadkine était heureux, rue d'Assas, de pouvoir travailler sur la terre même et au milieu d'arbres. "Tu sais, me disait-il, je ne pourrais jamais vivre à un deuxième ou troisième étage. Il faut que la semelle de mes chaussures racle la terre. Je dois être de l'espèce des rats et pas celle des oiseaux."
Et, pourtant, un grand nombre de ses personnages sculptés lèvent les bras au ciel, vers la lumière, souvent dans un geste de supplication vers l'Eternel. (p.52-53)
L'art abstrait est, je crois, une sorte d'évasion de la vie quotidienne, banale ou lassante mais il faut bien admettre que cet art abstrait peut être aussi mauvais, aussi repoussant, aussi dénué d'intérêt que la mauvaise peinture figurative s'il ne répond pas suffisamment aux lois et exigences de la "beauté", cette harmonie dans la forme, la couleur, la composition recherchée sinon obtenue, dans un climat d'amour.