Vanessa Gillon

Licorna, qui ouvrait la marche, s’apprêtait à avancer lorsqu’elle se figea net. Un cheval ailé, en vol stationnaire, s’était posté devant elle à hauteur de ses yeux et la fixait.
– Que fais-tu là ? Va rejoindre ta troupe derrière, ordonna-t elle.
Mais le cheval ailé ne bougea pas.
– Obéis, Flyewing ! rugit-elle.
– Je ne suis pas un Flyewing, répondit Alligator d’une voix calme. Je m’appelle Alligator.
En entendant son nom, la licorne géante sembla tressaillir. Mais elle demanda d’une voix dure :
– Pourquoi es-tu ici ?
– Je voulais vous conseiller de ne pas aller attaquer les Urdownies.
– Et pourquoi ?
– Ils sont au courant de votre attaque.
– Et qui les a prévenus ?
– Moi, répondit laconiquement le petit cheval.
– Toi ? cria-t elle. Et pour quelles raisons ?
Alligator la regarda alors droit dans les yeux et répondit d’une voix grave :
– Cette guerre a trop duré. Vous devez trouver une autre solution que de vous battre.
« Fais attention, Alligator », pensa Loïo, perché sur un acacia.
Le jeune cheval était en effet très près de la tête de Licorna. Si elle décidait d’utiliser son pouvoir d’attaque, il aurait peu de chances d’y échapper.
La licorne géante bouillonnait de colère. Cet insolent petit cheval avait osé la regarder en face, et il l’avait provoquée devant toute l’assemblée des Flyewings. Il méritait donc la mort.
– Ton insolence te perdra ! cria-t elle en lançant un redoutable éclair.

Lorsqu’elle croisa Zan, ce dernier lui glissa d’une voix sensuelle :
– Tu sais que le rideau est virtuel ?
Lydia se figea avant de se tourner vers lui.
– Mais tu m’as dit toi-même que les SMC ne voyaient pas à travers les tissus virtuels. Qu’ils leur paraissaient seulement brillants.
Zan ne répondit rien, mais son sourire en coin s’accentua franchement.
– Quoi ! tu m’aurais menti la dernière fois ?
Le garçon éclata de rire en refermant le rideau derrière lui.
– Zan ! Dis-moi que tu ne peux pas voir à travers les éléments virtuels !
Il passa la tête entre les pans du rideau.
– Toujours là ? Tu as envie de me rejoindre ? l’invita-t-il d’une voix lascive.
Elle le dévisagea d’un air à la fois agacé et inquiet.
– Allez, ne fais pas cette tête-là ! Je te faisais juste marcher ! fit-il, hilare.
Lydia en éprouva un vif soulagement. L’idée qu’il eût pu la voir toute nue lui donnait des frissons.
– Mais maintenant que tu le dis, je n’ai jamais vraiment essayé, dit-il d’un air pensif. Peut-être qu’en me concentrant suffisamment…
– N’essaye surtout pas ! le coupa la jeune fille, effarée.
Zan s’esclaffa de nouveau. Lydia n’oserait plus jamais prendre une douche s’il était dans les parages.

– Tu ne me supportes vraiment pas, hein ? lui dit-il alors.
Sa remarque prit Lydia au dépourvu. Elle tourna la tête vers lui. Aucun reproche ne se lisait sur son visage. Il arborait une expression calme, un léger sourire sur les lèvres.
– Je…, commença-t-elle, confuse, avant de déclarer avec aplomb : En tout cas, cela a l’air de t’amuser.
– J’aime les challenges.
– Ah oui ? Et en quoi consiste ton challenge dans le cas présent ?
– Je parie qu’une fois que tu auras fait le Royal Tour avec moi, tu n’auras plus jamais envie de faire équipe avec un autre AMC.
La façon dont il prononça ces paroles, d’un air sûr de lui, en la regardant droit dans les yeux de ses intenses prunelles sombres, la saisit.
– Rien que ça ? Eh bien, tu peux toujours essayer de me convaincre, dit-elle en détournant de nouveau la tête, lui faisant clairement comprendre qu’il n’avait aucune chance.

– Même si tu connais cette montagne, tu ne réussiras jamais.
Alligator le fixa d’un regard pénétrant.
– Nous étions bien armés et ils nous ont maîtrisés en quelques minutes, continua le Grietos. Qu’est-ce qui te fait croire que, tout seul, tu réussiras à faire mieux ?
– Rien, répondit le cheval ailé d’une voix sombre. Mais je ne peux laisser la princesse Sényasa entre leurs mains.
Le Grietos le regarda avec une drôle d’expression, comme s’il essayait de le percer à jour.
– Je ne sais pas quelles sont tes véritables motivations, Alligator… mais bonne chance.
Le jeune cheval hocha la tête, puis il prit brusquement son envol.
Orrnek, comme les autres Grietos de la forteresse, n’avait jamais porté Alligator dans son cœur. Mais en le voyant s’éloigner vers la haute montagne, il ne put s’empêcher de reconnaître qu’il possédait un incroyable courage.

– ATTENTION ! cria Alligator, en vol au centre de la caverne.
Un rocher s’était détaché de l’une des parois et était en train de dégringoler vers trois des Grietos noirs. Alligator s’élança sans hésiter à pleine vitesse et rua sur la pierre. Heureusement, elle n’était pas de trop grande taille et il parvint à la faire dévier de sa trajectoire. Elle s’écrasa dans un nuage de poussière aux pieds des trois mammifères reptiliens, à la fois terrifiés et stupéfaits. Ces derniers ainsi que tous ceux, autour d’eux, qui avaient assisté à la scène n’en croyaient pas leurs yeux. Comment ce Flyewing avait-il réussi à agir si vite et, surtout, pourquoi était-il ici et leur venait-il en aide ?

– Tu as perdu, Alligator ! déclara Cléôtra d’une voix triomphante.
– Si j’ai perdu, alors vous aussi, lui répondit le cheval ailé, dont la souffrance rendait la voix amère.
Il n’avait pas prononcé ces mots pour provoquer la reine, mais parce qu’il avait l’intime conviction que c’était la vérité. Si Cléôtra avait compris leur signification profonde, elle aurait regretté ses actes.
Alligator tourna un peu la tête et il aperçut soudain la princesse Sényasa. L’expression de la jeune licorne était impénétrable, mais il avait le sentiment qu’elle était venue pour l’aider, et il sentit son cœur s’alléger.

Éthan et Mathias, emmitouflés dans des manteaux aussi épais que ceux des filles, regardaient Zan avec mépris. Ils n’approuvaient clairement pas son comportement.
– Tu pourrais jouer le jeu, lui reprocha Éthan.
– Tu veux dire, faire semblant comme vous d’avoir froid ? rétorqua Zan. Ah, mais c’est vrai… vous ne faites pas semblant, ajouta-t-il d’un ton provocateur en fixant Éthan droit dans les yeux.
– Tu ne perds rien pour attendre, Zan !
Mais ce dernier, qui se moquait éperdument de la menace d’Éthan, se remit juste à rire.

– J’aime les CMC parce qu’elles ouvrent des possibilités infinies et que je suis accro aux sensations fortes. Mais la nature nous offre ce qu’il y a de plus beau, tu ne crois pas ?

– J’ai une de ces faims ! dit Enzo en prenant une bouchée de blé soufflé.
– Tu veux manger quelque chose ? proposa Yvan à Alligator.
– Non merci, répondit poliment ce dernier. Je préfère manger des aliments plus… ordinaires.
Sényasa croisa son regard et il arbora un petit sourire complice. La princesse était la seule habitante de la forteresse à savoir qu’il se nourrissait exclusivement de pierres précieuses, et la réponse ironique du cheval ailé la fit sourire.

Pourquoi cela faisait-il si mal à Lydia de le voir embrasser une fille de cette façon ?