Mon acacia survivra-t-il à cet hiver ?
Il a mis un silencieux à sa joie,
il a tendu entre deux branches
un fil de funambule invisible
pour que tout
jusqu'au bout
communique.
Maintenant, il persiste devant mes yeux
à tenir solitude
malgré le froid.
Ne reste que peu de sève
à portée de sa vie,
quelques poussées de vert,
bourgeons rescapés
à la pointe des dernières branches.
Mais il y a quelque chose de sauvage
qui résiste en lui, un corps
à la peau tendue, nouée,
dont le tatouage des années
se lit et s'efface,
un corps dur au mal
qui brave encore
les coups de fouet du vent.
De mes deux mains
je touche mon acacia
pour faire provision d'inconnu,
de lenteur, d'espoir, de courage.
Je regarde trembler
les quelques feuilles qui s'obstinent,
face au soleil,
pour quand la branche la plus haute
parlera à nouveau mésange.
C’EST LA TERRE…
C’est la terre.
Ne lui demandez rien de plus.
Par une nuit quelconque, entre sifflements et remords,
elle se cache. Elle a sa durée.
Ses maisons ont des pieds fatigués,
sa lumière
plus basse que les nuages.
Pour qui danse encore
cette moitié d’ombre ?
C’est la terre,
qu’auront bientôt oubliée tous nos désirs secondaires,
quand le souffle devient plus court, qu’il a un goût
d’inéluctable,
et que le monde aux yeux crevés ravale ses tragédies
pour tenir rang,
sous son faux col du soir.
Tu sens que cette année pourtant
il y aura beaucoup de pommes.
Car c’est la terre qui insiste,
prodigue sous le fouet du paysage,
et si le monde n’écoute plus quand on lui parle de lointain,
elle tient à ses femmes
qui ont la démarche du vent, elle détache
de la rocaille
la promesse d’une année grossie de pluie.
Et il y a de grands bâtisseurs parmi les volcans.
C’est la terre.
Ne lui demandez rien de plus.
Elle roule le fracas entrevu dans les mots
dont on ne doit pas parler.
Et tu écoutes en elle
pour ce jour qui va naître encore
le temps sauvé.
JE SUIS CELLE QUI SE VOUE À LA FLAMME…
Extrait 3/3
Sur ce rebord du monde qui nous rendra tous étrangers,
je suis
un corps debout
qui tient le paysage.
Mes pas
ne veulent plus être
qu’aujourd’hui,
le repos,
la vie sauve,
les mots reçus
du beau témoin tardif.
La terre est ce grand jour mêlé
qui sépare les eaux dans les éclats du temps.
Entre l’humeur chahuteuse du clown,
la sainte folie du baiser
et la lente sagesse des arbres,
n’hésite pas un seul instant :
choisis les trois .
Lettre du passager
Extrait 8
Abandon fut l’enfant juste né,
son cri hors du pays,
auquel rien ne répond,
le lait non recueilli de la mère
troublée qui s’absente.
Abandon, ce moment aussi
qui s’étire, se tend,
comme un afflux d’amour en ciel de lit,
deux corps
qui s’ouvrent
et se dénoue l’étreinte d’aujourd’hui.
Le beau-perdant vous salue bien
Extrait 2
Je lève mon verre invisible
à la beauté du désespoir
quand il use sa dernière chemise
et vous chante une ritournelle
qui colle durablement à la voix.
Et je connais quelqu'une qui a connu quelqu'un
qui racontait qu'il avait vu
la beauté se baigner nue
pour la première fois au monde,
puis s'ouvrir en corolle
par une drôle de nuit de première lune
avant, comme il se doit, de finir
en beauté.
p.4
Lettre du passager
Extrait 5
Ces mots qui glissent sous ta vie,
on ne les entend pas, dis-tu,
pas plus que mots d’amour,
sur le trottoir, si hasardeux à prononcer.
Ils ne sont pas faits pour ce temps.
Furtive,
ta vie, petite pierre,
tient aussi dans la bouche,
ta vie s’en va comme eux en un clin d’œil
et l’on parle sans bien comprendre,
à leurs côtés, de chaos
et d’enchantement.
Lettre du passager
Extrait 11
Un paysage entrevu a repris par la vitre
ses durées, une à une.
Ne restera ici peut-être
que la formule du sourire
(c’est au poème
de vous faire préférer le train),
à peine ces deux gobelets au comptoir
hésitant à se renverser,
ils bavardent près de leur table.
Pourtant la terre jubile, même sèche. Nous vénérons la terre sans eau qui nous ressemble, ne nous désaltère pas, celle qui descend des étoiles et subjugue l’incendie.
Et maintenant devant ce ciel très bleu et la pierre ocre des monuments religieux, quelque chose en moi conjugue toutes les distances et la lumière du temps de Patmos me revient. Non pas simple souvenir, travail crispé de l’esprit qui tente de garder ou de reprendre, mais bien visite de l’autre – l’infiniment proche, l’infiniment lointain - dans son domaine qui est l’île.