] Et c’est la nuit
au songe du fleuve Mckenzie
C’est là.
Une lumière frange les bords.
On est saisi.
On se resserre.
On creuse à l’hivernage.
Les vents viennent du Nord.
Milieu blanc, cristallin.
Parfois se dessinent un détroit, un chenal.
Pour combien de temps ?
Partout les glaces verrouillent.
C’est là.
Ou bien c’est là.
Quand ils se retirent du trafic,
les gens rêvent des rêves incroyables.
______________________________
______________________________
______________________________
______________________________
Mais avant que la bascule du temps advienne,
on doit laisser passer.
Les gens le savent : à chaque entrée dans la nuit,
c’est pareil.
Ils se retranchent, se calfeutrent,
laissant dehors dériver les nuages.
Ils éteignent, un à un, les signes du jour pressé
qui prend le train, voix qui grésillent à la radio,
compulsions digitales.
Peu à peu,
ils se lâchent, plissant les yeux qui bientôt
tirent les paupières,
c’est à peine s’ils devinent par la fenêtre
le flottement des palmes sous le vent.
______________________________
______________________________
______________________________
______________________________
Le monde est loin d’eux.
Ils sont loin du monde.
Les gens le savent, c’est leur vrai voyage qui les attend,
celui qui les entreprend.
Loin de l’odeur du caoutchouc chaud quand il se refroidit.
Loin des micro-séismes provoqués
par les failles dans le schiste,
loin de quand ça roule, qu’on enfile sa voiture
comme un vêtement sur la piste circuit,
et qu’on brûle les pneus.
Ils avancent alors tout au bord,
légers de tout cet inconnu
qui penche et les appelle.
On dit qu’ils entrent en connivence,
ils vont au souffle, ils se perdent de vue,
et c’est la bascule du temps,
et c’est la nuit.
Lettre du passager
Extrait 8
Abandon fut l’enfant juste né,
son cri hors du pays,
auquel rien ne répond,
le lait non recueilli de la mère
troublée qui s’absente.
Abandon, ce moment aussi
qui s’étire, se tend,
comme un afflux d’amour en ciel de lit,
deux corps
qui s’ouvrent
et se dénoue l’étreinte d’aujourd’hui.
Lettre du passager
Extrait 5
Ces mots qui glissent sous ta vie,
on ne les entend pas, dis-tu,
pas plus que mots d’amour,
sur le trottoir, si hasardeux à prononcer.
Ils ne sont pas faits pour ce temps.
Furtive,
ta vie, petite pierre,
tient aussi dans la bouche,
ta vie s’en va comme eux en un clin d’œil
et l’on parle sans bien comprendre,
à leurs côtés, de chaos
et d’enchantement.
Lettre du passager
Extrait 11
Un paysage entrevu a repris par la vitre
ses durées, une à une.
Ne restera ici peut-être
que la formule du sourire
(c’est au poème
de vous faire préférer le train),
à peine ces deux gobelets au comptoir
hésitant à se renverser,
ils bavardent près de leur table.
J’ÉCRIS COMME ON DÉCIDE PAR FRAGMENTS…
J’écris comme on décide par fragments. Le temps
d’une lettre cachée qui me retourne vers ma naissance.
Le monde, sous cette main, est une mise à feu multipliée.
*
Jeux d’infinis miroirs : que deviendra, dans tout ce dédale,
la sentinelle apocryphe ?
*
Tu es l’ouverte dans le mensonge comateux qui se donne,
une traduction improbable tentée avec ses yeux bandés.
*
À force d’en finir, le soir tressaille l’origine.
À force de commencer, le mot partout se bâtit
une bibliothèque.
*