(Dieu inconnaissable)
Or, c'est justement l'incognoscibilité qui est la seule définition propre de Dieu chez Denys, si l'on peut parler ici de définitions propres. En refusant d'attribuer à Dieu les propriétés qui font l'objet de la théologie affirmative, Denys vise expressément les définitions néo-platoniciennes : "Il n'est pas l'Un, ni l'Unité," dit-il. Dans le traité "Des noms divins", en examinant le nom de l'Un qui peut être dit de Dieu, il montre son insuffisance et lui oppose un autre nom "le plus sublime", - celui de la Trinité, qui nous apprend que Dieu n'est ni l'un ni le multiple, mais qu'Il surpasse cette antinomie, était inconnaissable en ce qu'Il est.
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« Nous sommes des rejetons d'un lignage obscurci » disait saint Macaire d'Égypte. Pourtant, rien dans la nature - pas même les démons - n'est essentiellement mauvais. Mais le péché, ce parasite de la nature enraciné dans la volonté, devient une espèce d'anti-grâce qui pénètre la créature, vit en elle, la rend captive du démon, captif lui-même de sa volonté pétrifiée à jamais dans le mal. Un pôle nouveau, contraire à l'image de Dieu, se crée dans le monde, illusoire en soi mais réel par la volonté (le paradoxe d'avoir son existence dans la non-existence même, selon saint Grégoire de Nysse). Par la volonté de l'homme le mal devient une force contaminant la création ( « la terre est maudite à cause de l'homme », dit la Genèse). Le cosmos qui reflète toujours la magnificence divine acquiert en même temps des traits sinistres, « l'aspect nocturne des créatures », selon l'expression d'un théologien et philosophe russe, le prince E. Troubetskoï. Le péché s'introduit là où devait régner la grâce et, au lieu de la plénitude divine, un gouffre méonique s'ouvre, béant, dans la création de Dieu - les portes de l'enfer ouvertes par la volonté libre de l'homme.
Adam n'a pas accompli sa vocation. Il n'a pas su atteindre l'union avec Dieu et la déification du monde créé. Ce qu'il n'a pas réalisé lorsqu'il usait en plénitude de sa liberté, lui devint impossible du moment où il s'est asservi volontairement à la force extérieure. À partir de la chute et jusqu'au jour de la Pentecôte l'énergie divine, la grâce incréée et déifiante restera étrangère à la nature humaine et n'agira sur elle qu'extérieurement, en produisant des effets créés dans l'âme. Les prophètes et les justes de l'Ancien Testament seront des instruments de la grâce. La grâce agira par eux, mais ne sera pas appropriée aux hommes comme leur force personnelle. La déification, l'union avec Dieu par la grâce deviendra impossible. Mais le plan divin ne sera point aboli par la faute de l'homme : la vocation du premier Adam sera remplie par le Christ, second Adam. Dieu se fera homme pour que l'homme puisse devenir dieu - selon la parole d'Irénée et d'Athanase, répétée par les Pères et théologiens de tous les siècles. Cependant, cette œuvre accomplie par le Verbe incarné se présentera avant tout à l'humanité déchue sous son aspect le plus immédiat - comme l'œuvre du salut, de la rédemption du monde captif du péché et de la mort. Fascinés par la felix culpa, on oublie souvent qu'en détruisant la domination du péché, le Sauveur nous ouvrait de nouveau la voie de la déification qui est la fin dernière de l'homme. L'œuvre du Christ appelle l'œuvre du Saint-Esprit (Le 12, 49). (chapitre VI)