Véronique Biefnot et Francis Dannemark - La route des coquelicots
Des gens meurent, il faut attraper quand même le train de huit heures, fracas des roues, grincements et vapeurs sales où cacher sans rien dire le chagrin des départs, et plus tard, par la fenêtre, dans les paisibles prairies du ciel, quelque chose qui bouge, oiseau peut-être, la traîne blanche d'un aéroplane, ou la plume d'un ange, qui se balance doucement, oh, si doucement.
Tu te promènes maintenant
sur ma paume ouverte, abandonnée.
Le reste de mon corps n'existe plus,
son enveloppe est floue,
variant au gré des arabesques que tu graves,
nouvelles lignes de vie,n d'amour,
nouveau parcours
du Tendre.
Elle aurait dû prendre le train, ou l'avion. Près de neuf cent kilomètres en voiture...Comme une façon de fuir, peut-être. De croire qu'on peut à tout moment changer de direction. Rebrousser chemin ?
Parcourant encore et encore les couloirs de la maison, comme s’il allait y croiser autre chose que des fantômes, il finit par s’asseoir au piano. Il laisse faire ses mains, ses doigts, qui frôlent des mélodies et les perdent, s’égarent jusqu’à mimer la pluie qui balaie inlassablement les vitres, tel un batteur de jazz longtemps après minuit.
Seul dans son théâtre d'ombres et de silence, Emile Marage alluma une bougie qu'il posa sur la table avant de s'asseoir, face à sa tribu figée. Figée dans l'attente des mots qu'il allait prononcer...Comme ils avaient été patients, le renard et le chat sauvage, comme ils avaient retenu leurs ailes, les oiseaux du jour et de la nuit, les papillons, comme ils s'étaient tenus tranquilles, les lucanes cerfs-volants, les cétoines dorées ! La voix du vieil homme surgit enfin : "Vous l'avez vue, n'est-ce pas ? J'aurais pu aimer quelqu'un. J'aurais pu être aimé. J''aurais pu avoir une petite fille comme elle"...
La lourde porte avait claqué dans son dos. Lucie eut beau actionner le bouton de l'interrupteur à plusieurs reprises, le hall d'entrée resta obstinément plongé dans le noir. A tâtons, elle se dirigea vers l'escalier.Avançant avec précaution, une main plaquée contre le mur, l'autre tendue devant elle, elle atteignit la première marche de marbre et, s'agrippant à la rampe, gagna le large palier du deuxième étage...
elle fit deux pas puis s'arrêta, pétrifiée...un léger bruit de respiration parvenait de la droite.
Au cimetière, ils me l'ont dit, tous, que c'était une belle façon de partir. S'endormir pour ne plus se réveiller...Conneries ! Je veux ma main dans la tienne, tes yeux humides quand tu ne trouvais pas les mots, ta voix cassée quand tu chantonnais en jouant du piano, et les soupirs que tu étouffais quand tu me prenais dans tes bras et me caressais les cheveux sans une phrase, avant de t'en aller, me laissant ici, dans cette petite ville où j'espérais ne plus jamais remettre les pieds. (p.35)
L'animal s'avançait vers elle d'un pas égal, réduisant calmement la distance qui les séparait. Cette fois la jeune femme décida de ne pas fuir. Et cette fois il ne se précipita pas, comme s'il avait senti qu'elle acceptait la rencontre. Il s'arrêta face à Lucie.
Un nuage filiforme glissait doucement devant la lune tel un sous-titre dans une langue disparue.
...si Antoine te lit ces lignes, c'est que j'ai enfin décroché un "contrat d'artiste à durée indéterminée". La sécurité, enfin. Hélas c'est un peu loin...Je crains de ne pouvoir revenir te dire bonjour. Mais compte sur moi, je vais faire swinguer les anges !