Vous allez à une consultation avec le directeur de la clinique, qui vous prescrit la psychothérapie cognitivo-comportementale suivante : il faut vous rouler dans un caniveau très contaminé (du moins, que vous croyez contaminé). Le docteur vous explique qu’en répétant cette thérapie régulièrement, vous sentirez dans votre corps que la contamination n’existe que dans votre cerveau. Vous pensez : « Il y a un gros inconvénient à cette méthode. » Si vous avez raison et qu’il a tord, ou bien vous tombez gravement malade, ou bien vous mourrez.
Vous continuez à avoir des doutes à propos de votre folie. La contamination radioactive, qui est invisible, qui n’a pas d’odeur, qui n’a pas de goût, existe-t-elle vraiment ? Les journaux, les chaînes de télévision, mon psy, mes parents disent que la source de mes inquiétudes n’existe peut-être pas. Est-ce moi qui ai l’esprit dérangé ?
M., une Française venue il y a deux ans à Tokyo, disait que la contamination lui semblait être un sujet tabou quand elle l’évoquait avec des gens d’ici. Lorsqu’elle a prononcé le mot « tabou », vous avez enfin identifié la cause de votre étouffement. Quand l’unité nationale oblige à oublier l’accident nucléaire, il est impossible de dire « j’ai peur de la contamination radioactive » sans être accusé d’antipatriotisme. Même quand on se tait, la police secrète dans notre tête traque toute expression sincère du sentiment de peur. Cette patrie dans laquelle on ne peut pas s’exprimer librement n’a qu’à disparaître.
Pour les intellectuels comme pour les entrepreneurs, « l’incident » Fukushima était un coup du sort pour le paradis consumériste qu’il suffisait de transformer en opportunité.