Le 11 mars 2011, un séisme de magnitude 9,1 s'est produit au large de la côte Pacifique du Japon. Il a été suivi par un tsunami provoquant un raz-de-marée jusqu'à 10 km à l'intérieur des terres et par le dysfonctionnement de la centrale Fukushima-Daiichi dont trois réacteurs ont explosé. En 2015, les chiffres des victimes s'élevaient à 15894 morts, 6152 blessés et 2562 disparus.
Pour le Japon, déjà traumatisé par les bombes atomiques d'Hiroshima et Nagasaki, cette catastrophe a généré une véritable onde de choc dans la société. La culture japonaise communautariste s'est fissurée : entre les partisans de la parole gouvernementale (accident nucléaire sous contrôle, radiations peu actives, partage des déchets radioactifs, solidarité envers les entreprises de la région touchée) et les sceptiques mus par un désir de protection pour eux et leurs proches.
Un grand nombre d'associations et de groupements ont vu le jour : sous différentes bannières, ils tentent de faire entendre leurs voix et les inquiétudes des Japonais. Mais leurs revendications bloquent devant le mur de l'appareil gouvernemental, qui souhaite que les choses continuent et que l'accident Fukushima soit oublié au plus vite.
Ce livre est la compilation de plusieurs articles rédigés par des Japonais sur les conséquences politiques et sociétales de l'accident nucléaire. Les craintes de voir les « invisibles » - qu'il s'agisse des radiations invisibles ou des minorités qui remettent en question la parole de l'État - perdre leur importance.
Outre la réflexion légitime sur les conséquences sanitaires de l'accident (maladies dues aux radiations qui se manifesteront sur plusieurs années), les auteurs s'interrogent également sur la « fin du capitalisme » tel qu'il a cours à l'heure actuel, un capitalisme qui génère par son fonctionnement même ce type de catastrophe.
Ce cahier n'est pas suffisant en lui-même pour appréhender la situation : culture japonaise de la communauté ; place des femmes ; politique gouvernementale et lien avec les lobbies nucléaires ; traumatisme psychologique à l'échelle d'une nation ; manipulation par la communication… et le propos est assez sombre et pessimiste, malgré une volonté profonde de faire bouger les choses.
À défaut d'apporter des solutions précises (qui sont encore à inventer), ces cahiers d'enquêtes politiques poussent à la réflexion et à la mise en question de la société telle qu'elle est dans les pays industrialisés.
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Excellent. Rétrospective et paroles de japonais et japonaises, 7 ans après le désastre. Psychose. Drames. Difficultés pour se nourrir au quotidien. Familles déchirées. On revient sur la gestion de la catastrophe sanitaire, sur le rôle du gouvernement, sur l'auto-organisation des familles, sur les experts académiques honnêtes, moins honnêtes, les contre-experts issus de la société civile. La hantise de manger de la viande contaminée. Difficulté d'aller au restaurant. L'impression de devenir fou quand le pays ne parle plus de tout ça alors que c'est ton problème quotidien. Sur la question d'être "patriote". L'effet de sidération, lié à la démesure de l'évènement. Et plein d'autres choses concrètes.
Ce livre est le résultat d'une coopération entre les auteurs et 7 japonais et japonaises issu·es de leurs groupes d'amis et qui ont participé à des collectifs engagés contre la gestion de la catastrophe par l'entreprise TEPCO et l'État Japonais.
Recommandé, et bonne maison d'édition indépendante.
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Présenté dans une chronique France culture, thème, couverture presque pompeux et pourtant, un document à lire. On y reçoit des témoignages d'un genre différent d'un évènement des plus tristes de ce début de siècle. Événement dont nous n'avons pas beaucoup d'écho, en cause la "distance" ou mutation invisible et combat physique et psychologique à venir.
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Vous allez à une consultation avec le directeur de la clinique, qui vous prescrit la psychothérapie cognitivo-comportementale suivante : il faut vous rouler dans un caniveau très contaminé (du moins, que vous croyez contaminé). Le docteur vous explique qu’en répétant cette thérapie régulièrement, vous sentirez dans votre corps que la contamination n’existe que dans votre cerveau. Vous pensez : « Il y a un gros inconvénient à cette méthode. » Si vous avez raison et qu’il a tord, ou bien vous tombez gravement malade, ou bien vous mourrez.
Vous continuez à avoir des doutes à propos de votre folie. La contamination radioactive, qui est invisible, qui n’a pas d’odeur, qui n’a pas de goût, existe-t-elle vraiment ? Les journaux, les chaînes de télévision, mon psy, mes parents disent que la source de mes inquiétudes n’existe peut-être pas. Est-ce moi qui ai l’esprit dérangé ?
M., une Française venue il y a deux ans à Tokyo, disait que la contamination lui semblait être un sujet tabou quand elle l’évoquait avec des gens d’ici. Lorsqu’elle a prononcé le mot « tabou », vous avez enfin identifié la cause de votre étouffement. Quand l’unité nationale oblige à oublier l’accident nucléaire, il est impossible de dire « j’ai peur de la contamination radioactive » sans être accusé d’antipatriotisme. Même quand on se tait, la police secrète dans notre tête traque toute expression sincère du sentiment de peur. Cette patrie dans laquelle on ne peut pas s’exprimer librement n’a qu’à disparaître.
Pour les intellectuels comme pour les entrepreneurs, « l’incident » Fukushima était un coup du sort pour le paradis consumériste qu’il suffisait de transformer en opportunité.