texte © François de Cornière, tous droits réservés
musique, instruments, voix, mise en images Franklin Hamon, tous droits réservés
Et rester tard le soir
ensemble sous la tonnelle
à écouter la nuit
quand les étoiles tremblent
MES PAS DERRIÈRE MON COEUR
Même si vous n’êtes plus
que des mots dans mes poèmes
- des pronoms personnels
qui pour moi ont des corps
des gestes des paroles -
c’était pour toi pour vous pour nous
ces phrases où j’ai laissé
mes pas derrière mon coeur.
Et si l’eau est venue tout recouvrir
ou de la terre la terre
et des ciels d’autres ciels
je n’oublie pas
- vous qui n’êtes plus que des mots
dans mes poèmes -
que sous l’eau la terre le ciel
je suis relié à vous
qui me reliez à moi.
Alors je continue
de vous parler
de t’embrasser
de nous croire mortels
et d’écrire quelquefois des poèmes
où mon corps mes gestes mes paroles
sont ces cendres encore chaudes
sous mes phrases où vos pas
c’est mon coeur.
DANS SON BOL DE THÉ
Elle me dit qu'elle aime
regarder le reflet du ciel
ou celui de l'arbre
ou celui du rideau
dans son bol de thé.
"C'est la lumière qui fait tout"
me dit-elle souvent
quand elle me montre entre ses mains
l'image qu'elle fait trembler
en rides concentriques.
C'est l'instant rond qu'elle saisit là
le tableau d'une profondeur
qui dépend d'un nuage pressé
du soleil à travers la vitre
d'une ombre un peu penchée.
Je ne sais pas à quoi elle pense
dans ces moments-là
mais je crois moi aussi
à l'importance de ce qui passe
ou de ce qui s'arrête
dans un bol de thé.
LE SENS DE LA NAGE
Elle me disait souvent :
«Sois prudent
ne va pas si loin
longe plutôt la côte. »
Mais ce n'était pas pareil.
Je préférais nager vers le large
en direction d'une ligne
que moi seul connaissais.
Je réglais ma cadence
de crawl avec mes palmes
et partais vers un point
que j'avais appelé :
" Cap de l'oubli passager. "
Certains matins très tôt
quand la mer était calme
je nageais vers ce point.
Sans me retourner.
Je savais que sur terre
on revient sur ses pas.
Mais dans le sens de la nage
quand bien même on traverse des vagues
c'est sur soi qu'on revient.
Sur soi qu'on revient.
LES MOTS DU BORD DES LÈVRES
Pour tous les mots du bord des lèvres
que j’ai gardés – sans vous les dire –
dans le silence d’une seule fois
je rentre en moi je disparais
un peu confus tout de même
d’avoir tant hésité pour me taire.
Mes simples mots du bord des lèvres
je les ai suivis je les ai perdus
comme on roule parfois tard
dans les rues vides la nuit :
une ville inconnue
un port de nulle part.
Jeté comme un caillou
qui n’a fait aucun bruit
en touchant la surface
mon poème me noie
dans ce grand trou du temps
où nous nous sommes penchés.
Et où mes mots vous cherchent.
(Ouvrant les volets d'une vieille maison de famille en Ardèche)
Alors, c'est la montagne qui entre dans la chambre. Le grand espace. La grande lumière. Le grand mystère des arbres, du ciel, et du fait qu'on soit là, à la fenêtre de la petite chambre, comme devant un tableau qui fait taire tous les mots. C'est la fenêtre du silence. Celle qu'on ouvre toujours la première, en grand, quand on revient dans la maison. Celle où l'on reste en ne se disant rien, mais en comprenant tout. Celle où l'on regarde sa vie, qui doit être minuscule, dans le cadre d'une fenêtre qui donne sur tout cela.(...)
Par la vitre d'une brasserie.
Silhouettes ombres chinoises.
Le soleil dans la tasse
et se taire
tout au fond.
" Des cailloux qui flottent"
LIQUIDATION
parfois on recherche un poème
pour une phrase
qu’on a lue on ne sait plus quand
mais qui revient - pourquoi -
à la mémoire
à cause peut-être d’une impression
pareille à celles qui font croire
qu’on a déjà vécu ce moment-là
alors on feuillette des livres
on s’arrête sur des mots des images
et on s’aperçoit qu’au fond
on n’a jamais rien lu
ou plutôt que c’est jamais fini la poésie
quand bien même on passe des nuits
à courir le long des rails
pour rattraper ce qui s’en va
comme un jour on s’arrête
devant une boutique de souvenirs
avant la saison sur la côte
pour une pancarte en lettres bâtons
qui dit que TOUT DOIT DISPARAÎTRE
J'ai nagé
avec toi dans la mer
avec toi dans le ciel
avec toi partout
au coeur de ce grand vide
où maintenant j'habite.
(" Nageur du petit matin") recueil évoquant sa femme décédée.
moi qui ne vise rien sauf
mon poème arrêté
une image de vous
et vos rires vos rires
dans l'été
qui s'envolent.