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Citation de enkidu_


Question : Trotsky avait parlé, lui, de « militarisation du travail », ce qui ne rend pas pour autant votre livre de 1932 acceptable pour un marxiste. Der Arbeiter a été violemment critiqué par Lukacs...

Ernst Jünger : Lukacs, que j’ai bien connu, a écrit ce qui correspondait aux vues de son idéologie et de son parti. Je ne suis pas antimarxiste. Au point de vue économique, Marx a mis en lumière des choses parfaitement exactes. Son analyse est une étape sur le chemin de mon « Travailleur ». En ce sens, Marx peut entrer dans mon propre système, mais moi je ne passe pas dans le sien, c’est toute la différence et elle est essentielle. Pour moi, Marx a mutilé Hegel en enfermant celui-ci, en le réduisant à une conception du monde trop rationnelle et économique... Et ce que j’ai voulu, au fond, réintroduire dans le Travailleur, c’est ce que Marx lui a enlevé, notamment ce que j’appellerai Weltgeist. Dans son époque, Marx n’est certes pas le seul à aller dans ce sens. Pensez à Darwin par exemple. Vous savez qu’il y a des botanistes tels que Fechner qui ont sur les plantes un regard quasiment mystique. Darwin, dans sa représentation de l’évolution, lui aussi, efface une dimension, retire, enlève quelque chose d’essentiel : il y a trop de temps dans sa conception. Il ne suffit pas d’introduire le temps, il faut aussi savoir l’extraire ! Et c’est sans doute pour éviter sur tous ces points de nombreux malentendus que j’ai toujours refusé de laisser rééditer ou traduire mon livre.
(...)
Question : La division systématique entre « droite » et « gauche » vous reste, disiez-vous, étrangère...

Ernst Jünger: Je ne l’accepte pas. Je pense que l’homme est un tout et lorsque quelqu’un me dit « je suis de droite » ou « je suis de gauche », j’ai l’impression qu’il se présente à moi comme une moitié d’homme ! Et c’est sans intérêt. Je travaille à la fois avec ma main droite et ma main gauche, mes deux hémisphères cérébraux, et il me paraît nécessaire que tout cela s’harmonise. On m’a parfois demandé ce que je pense de la démocratie... mais ce n’est qu’un mot : il y a cent démocraties !... Je me demande plutôt, dans tel ou tel cas, quel est l’homme qui la gouverne et comment il le fait. Lors d’un banquet des sept sages de la Grèce, l’un d’eux a dit : « La meilleure démocratie est celle qui ressemble le plus à la monarchie et la meilleure monarchie est celle qui se rapproche le plus de la démocratie. » Je crois même que c’est Solon qui a dit cela. Et, pour moi, il en va ainsi de la droite et de la gauche. Je trouve, par exemple, très positive l’action d’hommes de gauche arrivant au pouvoir et adoptant ensuite quelques idées conservatrices...

Pour finir, je vous dirai ceci : Heidegger, il est impossible de le situer « à droite » ou « à gauche ». Il faudrait plutôt le situer en termes de hauteur ou de profondeur !... (pp. 149-150)
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