Citations de Lucrèce (114)
Quel piètre amour de vivre à la vie nous enchaîne ?
Tout mortel doit mourir tôt ou tard à son heure.
Personne n’y échappe : à quoi bon résister ?
Et puis l’on tourne en rond dans le cercle de vivre,
Où nul plaisir nouveau ne peut plus nous surprendre.
De plus, s'il n'y a pas entre la forme et la couleur des atomes une dépendance fixe, et si toutes les formes d'atomes peuvent avoir n'importe quelle teinte, pourquoi les corps formés par eux ne sont-ils pas également revêtus de toute espèce de couleurs, et ce, quelle que soit leur espèce? On devrait en effet voir souvent des vols de corbeaux au blanc plumage répandre partout l'éclat de leur blancheur, des cygnes naître noirs d'une semence noire, ou de toute autre couleur pure ou mélangée.
Breves sont pour les pauvres hommes les douceurs de la vie
III-161 : l'âme et l'esprit sont matériels.
Et la même raison montre que leur nature
Est corporelle, car elle ébranle les membres,
Les arrache au sommeil, transforme le visage,
Et c'est l'homme en entier qu'on la voit commander ;
Ce dont rien, on le voit, ne se peut sans contact ;
Sans corps, pas de contact : il faut donc avouer
Que l'âme et que l'esprit sont des corps par nature.
En outre on voit qu'avec le corps l'esprit pâtit,
Et qu'il sent tout ensemble avec nous dans le corps.
Si, sans prendre la vie, une flèche acérée
Pénètre dans les chairs et déchire os et nerfs,
S'ensuit une langueur, un doux affaissement
À terre ; et là, l'esprit s'échauffe, avec parfois
Comme une volonté vague de ressurgir.
Forcément donc l'esprit est par nature un corps,
Puisqu'il souffre des traits et des coups corporels.
De la source même des plaisirs surgit une pointe d'amertume qui sème l'inquiétude dans le jardin même du plaisir...
Enfin nos yeux nous font voir des corps bornés par d'autres corps; l'air limite les collines et les montagnes l'air; la terre borne la mer et la mer borne toutes les terres; mais au-delà du grand Tout, il n'y a rien autour de lui pour le limiter. Il existe donc un espace, une immense étendue que les éclairs de la foudre pourraient traverser pendant l'éternelle durée des âges sans en atteindre le terme et sans que la distance restant à franchir fût jamais diminuée.
Mais quand meme je ne connaitrais pas la nature des elements,j'oserais assurer a la simple vue du ciel et de la nature entiere,qu'un tout aussi défectueux n'est point l'ouvrage de la divinite
Et puis, quand nous frappons une pierre du doigt,
nous touchons sa couleur superficielle, extérieure ;
or ce n'est pas elle que nous sentons par le toucher,
mais bien la dureté tout au fond de la pierre.
Tant que l'objet que nous désirons n'est pas là, il nous paraît supérieur à tout ; à peine est-il à nous, nous en voulons un autre et notre soif reste la même.
Le ciel d'abord : si sa couleur éclatante et pure,
si tout ce qu'il contient, les astres vagabonds,
la lune et la clarté splendide du soleil,
soudain surgissant à l'improviste aujourd'hui
commençaient à exister aux yeux des mortels,
que pourraient-ils nommer de plus merveilleux ?
Quoi de plus incroyable pour tous les peuples ?
Rien, je crois, si prodigieux serait le spectacle !
Or nul désormais, tant son aspect finit par lasser,
ne daigne lever les yeux vers le ciel lumineux.
Douceur, lorsque les vents soulèvent la mer immense
d'observer du rivage le dur effroi d'autrui,
non que le tourment soit jamais un doux plaisir
mais il nous plaît de voir à quoi nous échappons.
Lors des grands combats de la guerre, il plaît aussi
de regarder sans risque les armées dans les plaines.
Mais rien n'est plus doux que d'habiter les hauts lieux
fortifiés solidement par le savoir des sages,
temples de sérénité d'où l'on peut voir les autres
errer sans trêve en bas, cherchant le chemin de la vie,
rivalisant de talent, de gloire nobiliaire,
s'efforçant nuit et jour par un labeur intense
d'atteindre à l'opulence, aux faîtes du pouvoir.
Pitoyables esprits, cœurs aveugle des hommes !
« Et quand les grandes légions envahissent les plaines,
en leur course agitant les images de la guerre
l’éclat des armes s’élève jusqu’au ciel,
toute la terre à la ronde reflète l’airain,
le sol s’ébranle sous la charge des guerriers,
leurs pas résonnent, les montagnes frappées de clameurs
renvoient l’écho jusqu’aux astres de l’orbe céleste
les cavaliers volent alentour puis soudain
s’élancent et les plaines tremblent sous leur assaut.
Pourtant, sur les hautes montagnes, il est un lieu
D’où tout semble au repos, éclair immobile dans la plaine »
Les dieux ne gouvernent pas le monde
Ce qui chez les uns est nourriture, se révèle pour d'autres un amer poison.
Rien donc ne se perd tout à fait de ce qui semblait périr, puisque d'un être fini la nature reforme un être qui commence, et que ce n'est que par la mort des uns qu'elle procure la vie aux autres.
Ainsi chacun cherche à se fuir, impossible rêve :
on reste fixé à soi-même et l'on se hait,
car la cause du mal échappe à qui en souffre.
Si on la voyait bien, laissant là tout le reste,
on se consacrerait à l'étude de la nature
car son enjeu n'est pas une heure seulement,
mais l'état éternel dans lequel les humains
resteront tout le temps au-delà du trépas.
Tant que demeure éloigné l'objet de nos désirs, il nous semble supérieur à tout le reste ; est-il à nous, que nous désirons autre chose, et la même soif de la vie nous tient toujours en haleine.
... Les parties génitales.
Irritées, elles s'enflent de semence et l'on veut
la lancer vers l'objet auquel tend la passion funeste :
l'esprit vise le corps qui le blessa d'amour.
Car nous tombons toujours du côté de la plaie
et le sang gicle vers celui qui nous porta le coup,
couvrant, s'il est proche, l'ennemi de rouge liqueur.
Ainsi de l'homme atteint par les traits de Vénus
que lui lance le garçon aux membres féminins
ou la femme dont tout le corps darde l'amour :
il tend vers qui le frappe et brûle de l'atteindre,
de jeter la liqueur de son corps dans le sien,
car son désir muet lui prédit le plaisir.
Qu'un oeil soit déchiré, mais la pupille intacte,
la faculté de voir lui demeure vivante,$à condition de ne pas abîmer tout le globe
et de ne pas découper la prunelle pour l'isoler,$car cela aussi serait fatal à tous les deux.
Mais le centre minuscule de l'oeil est-il détruit,
aussitôt meurt la lumière et montent les ténèbres,
le reste du globe fût-il intact et plein d'éclat.
Tel est le pacte qui toujours lie l'âme et l'esprit.
III. 806, mortalité de l'âme. -Traduction d'Ariel Suhamy :
En outre pour rester éternel, il faut, soit
Avoir un corps solide et repousser les chocs,
Sans laisser pénétrer rien qui puisse au-dedans
Détruire l'union étroite des parties :
Tels avons-nous montré les corps de la matière ;
Ou bien pouvoir durer toute l'éternité
Parce qu'exempt de coups : c'est ainsi qu'est le vide,
Qui demeure intangible, inapte au moindre choc ;
Ou parce qu'alentour il n'y a pas de place
Où les choses pourraient comme aller se dissoudre :
Telle est l'éternité de la somme des sommes,
Hors de laquelle il n'est ni place où s'échapper,
Ni corps pour la dissoudre en l'accablant de coups.
Et si l'on croit plutôt que l'âme est immortelle
Car tenue à l'abri des travers de la vie,
Soit que nul corps ne vienne attenter à ses jours,
Soit que quelque moyen repousse ceux qui viennent
Avant que nous puissions en sentir la nuisance,
(lacune probable d'au plus un vers signifiant :
« On s'écarte bien loin du vrai raisonnement. »)
Outre en effet qu'elle est malade avec le corps,
Advient aussi souvent l'avenir qui la mine,
La peur qui la meurtrit, les soucis qui l'épuisent,
Et des crimes passés le remords qui la ronge ;
Ajoute pour l'esprit la folie et l'oubli,
Et l'onde noire où le plonge la léthargie.