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Citation de Partemps


H.B. 29. —

A SA SŒUR PAULINE

Paris, il Nivôse an XI. [Samedi, 1" Janvier 1803.\

Souvent, las d'être enclave et ôe boire lu lie De ce calice amer que l'on nomme la vie, Las du mépris des sots qui suit la pauvreté, Je regarde la tombe, asile souhaité; Je souris à la mort volontaire et prochaine ; Je me prie en pleurant d'oser rompre ma chaîne, Et puis mon cœur s'écoute et s'ouvre à la faiblesse : Mes parents, mes amis, l'avenir, ma jeunesse, Mes écrits imparfaits ; car, à ses propres yeux, L'homme sait se cacher d'un voile spécieux. A quelque noir destin qu'elle soit asservie, D'une étreinte invincible il embrasse la vie ; Il va chercher bien loin, plutôt que de mourir, Quelque prétexte ami, pour vivre et pour souffrir. Il a souffert, il souffre : aveugle d'espérance, Il se traîne au tombeau, de souffrance en souffrance Et la mort, de nos maux le remède si doux, Lui semble un nouveau mal, le plus cruel de tous !

•fcjE sens-tu pas ces vers pénétrer dou-^ cernent dans ton âme, s'y étendre .. 1 et bientôt y régner ? Pour moi, ils me paraissent les plus touchants que j'aie encore lus dans aucune langue. Je voulais d'abord les copier pendant qu'ils me sont encore présents, pour te les envoyer dans ma première lettre ; mais je suis devant ma table, j'ai une demi-heure à moi, comment ne pas écrire à celle à qui je voudrais toujours parler ? J'ai le projet de t'aller voir au commencement de thermidor ; je voulais d'abord n'y aller qu'un mois plus tard, mais quelle folie ! Nous a%'ons si peu de jours à vivre, et peut-être bien moins à passer enseiûble ! Hâtons-nous de jouir, vivons ensemble, coulons nos jours au sein de l'amitié. Je m'instruis ici, à la vérité ; mais que la science est froide auprès du sentiment ! Dieu, voyant que l'homme n'était pas assez fort pour sentir toujours, a voulu lui donner la science pour le délasser des passions durant sa jeunesse, et pour l'occuper dans ses derniers jours.

Malheureux et bien à plaindre, le cœur froid qui ne sait que savoir ! Hé ! que me sert de savoir que le soleil tourne autour de la terre, ou la terre autour du soleil, si je perds, à apprendre ces choses, les jours qui me sont donnés pour en jouir ? Telle est la folie de bien des hommes, ma ehère Pauline ; mais elle ne sera' pas la nôtre.

J'oubliais de te dire de qui sont ces vers si doux que je t'envoie : André Ché-nier les composa peu de temps avant la Terreur qui le fit périr. Je ne veux pas demeurer un jour à Grenoble, parce que rien ne fait de la peine à l'âme comme de sentir sa ...1 rapetissée. Je suis logé au sixième, mais en face de cette...2 colonnade du Louvres. Chaque soir, je vois successivement le soleil, la lune et toutes les étoiles se coucher derrière ces galeries qui ont vu le grand siècle. Je m'imagine voir les ombres du grand Condé, de Louis XIV, de Corneille, de Pascal cachées derrière ces grandes colonnes, voir passer avec intérêt les hommes leurs descendants, et promettre aux malheureux un asile au milieu d'eux.

Dès que je serai arrivé, nous irons à Claix, où nous expliquerons le Tasse, si tu sais assez d'italien pour cela.

Je me souviens de Zadig : c'est un petit roman de Voltaire, qui a voulu y prouver plusieurs vérités philosophiques que tu ne comprendrais peut-être pas encore. Cependant tu peux prier notre grand-

Eapa de te le lire ; il t'expliquera les choses ors de ta portée.

Continue à me faire des questions : je serai plus exact à l'avenir ; mais j'avais perdu ta lettre en déménageant, c est ce qui avait retardé ma réponse.

1 et 2, Une déchirure.

3. Henri Beyle ven* It de prendre une chambre au 6* étage & l'HStel de Kouen, rue d'Angiviller. 30. —- A

A EDOUARD MOUNIER

Paris, 21 Nivôse XI. [Mardi, 11 Janvier 1803.]

Ou'aurais-je pu vous dire, mon cher Mounier, pendant six mois de ma vie passés dans la folie la plus complète ? Je l'ai enfin connue cette passion que ma jeunesse ardente souhaita avec tant d'ardeur. Mais à présent que l'aimable galanterie a pris la place de ce sombre amour, après avoir été tant plai­santé par mes amis, je puis en plaisanter avec vous. Oui, mon ami, j'étais amou­reux et amoureux d'une singulière manière, d'une jeune personne que je n'avais fait qu'entrevoir, et qui n'avait récompensé que par des mépris la passion, la mieux sentie.Mais enfin tout est fini ; je n'ai plus le temps de rêver, je danse presque chaque jour. En qualité de fou, je me suis mis sous la tutelle de mes amis, qui n'ont trouvé d'autre moyen de me guérir que de me faire devenir amoureux. Aussi suis-je tombé épris d'une femme de banquier très jolie ; j'ai dansé plusieurs fois avec elle, je me suis fait présenter dans ses sociétés, je viens de lui écrire ma cinquième lettre, elle m'en a renvoyé trois sans les lire, elle a déchiré la première, suivant toutes les règles, elle doit lire la cinquième et répondra à la sixième ou septième1. Elle a épousé il y a six mois le brillant équipage et les deux millions d'un badaud qui a la platitude d'en être jaloux, jaloux d'une femme de Paris ! il prend bien son temps ; aussi je compte bien m'amuser avec cet animal là. Il m'a donné une comé­die impayable avant-hier. Malli m'avait donné son mouchoir et son argent à garder ; elle est sortie beaucoup plus tôt qu'elle ne m'avait dit, ce qui a fait que Monsieur son mari m'est venu chercher à une contre-danse que je dansais â l'autre bout de la salle, pour me demanda les affaires de sa femme. Il était si plaisam­ment sérieux en faisant ce beau message, que tout le monde a éclaté ; j'en ris encore en vous l'écrivant. Hier soir, il m'a boudé et, comme je disais que j'étais charmé que l'usage de l'épée et des habits brodés revînt, il a dit, d'un air judicieux, que ce n'était qu'un moyen de plus donne aux étourdis pour troubler la société.

Tout le monde me félicite sur la rapidité de mes progrès. Je suis le premier amant

1. Rapprochez de ces ligues la fameuse recette du Rouge »t Soir, pp. 401-402 (Edit. 1855). {Note de M. F. Corrêard). de Mme B. ; des gens qui valaient beau­coup mieux que moi ont été refusés ; je me dis ça à tout moment pour tâcher de me rendre fier, mais en vérité ces jouis­sances d'amour-propre sont bien courtes. Je jouis un instant lorsque, penché sur les bras de sa bergère, je la fais sourire, ou lorsque je fais un petit homme avec le bout de son mouchoir ; mais lorsque mon orgueil veut me féliciter de la différence de mes succès cette année et l'année der­nière, je deviens rêveur, je me rappelle le charmant sourire de celle que j'aime encore, malgré moi ; je sens des larmes errer dans mes yeux à la pensée que je ne la reverrai jamais ; — mais convenez que je suis bien sot ; ne me revoilà-t-il pas dans mes anciennes lubies. Mais cette fille, que m'a-t-elle fait après tout, pour être tant aimée ? elle me souriait un jour, pour avoir le plaisir de me fuir le lende­main ; elle n'a jamais voulu permettre que je lui dise un mot ; une seule fois j'ai voulu lui écrire, elle a rejeté ma lettre avec mépris ; enfin, de cet amour si violent, il ne me reste pour gage qu'un morceau de gant. Convenez, cher Mounier, que mes amis ont raison, et que, pour un officier de dragons, je joue là un brillant rôle. Encore si elle m'eût aimé ; mais la cruelle s'est toujours fait un jeu de me tourmen ter ; non, elle n'est que coquette ; aussi je l'oublie à jamais, et je la verrais dans ce moment que je serais aussi indifférent pour elle, qu'elle fut pour moi dans le temps de ma plus vive ardeur.

Mais, pardon, mon ami, je vous ennuie de mes folies, c'est pour la dernière fois ; je sens que je l'oublie. Est-ce que je n'au­rai pas le plaisir de vous embrasser cet hiver ? Venez un peu voir notre Paris à présent qu'il est dans son lustre ; je suis sûr que tout philosophe que vous êtes, il vous plaira beaucoup plus qu'au printemps. Dans tous les cas j'espère que nous ven­dangerons ensemble dans notre Dauphiné. Venez, mon cher Mounier, comparer nos gais paysans de la vallée avec vos Bretons. Est-ce que Mlle Victorine ne sera pas de la partie 1 Dans tous les cas présentez-lui mes hommages, et croyez à Vendless frien-dship of1.

H. B.
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