J’avais beau être convaincu du message de paix de la religion musulmane, je ne pouvais m’empêcher de sentir un malaise à chaque Allah Akbar que j’entendais en ces lieux. Je les associais instinctivement à la mort. J’imaginais alors l’effet de ces mêmes mots sur des Occidentaux qui eux étaient loin d’être convaincus du message de paix. Voilà donc ce qu’ils [les djihadistes] avaient fait à Dieu. Ils avaient fait de l’évocation de son nom, une cause de hantise à travers le monde. Car oui, il était des endroits où l’on courait se mettre à couvert dès qu’on entendait le nom de Dieu au-delà d’un certain nombre de décibels. En dessous, on se contentait d’être mal à l’aise.
J'avais passé la moitié de ma vie assis dans des salles de cours, au lieu d'être debout comme un homme.
A quel point faut-il être sot pour croire que l'on conquiert le monde en étant assis? Les grands hommes, ceux qui sont entrés dans l'histoire par autre chose que son sphincter, étaient des hommes debout. Personne n'a jamais réussi quoi que ce soit en étant assis.
Mais à quoi bon ? Allah n’est pas obligé comme disait tonton Ahmadou… et puis tout ça, c’était avant. Et personne ne sait plus comment c’était avant, quelle gueule avait le monde ; quelle place avaient les nègres ? À quoi bon puisque nous ne sommes que des détails de l’histoire et que nous n’y sommes même pas entrés comme a cru bon le rappeler l’ancien patron de la France. Il avait une sale gueule ce monde... une sale gueule j’vous dit pas.
Les hommes s’étaient donc partagé notre bonne vieille planète comme s’il s’agissait d’une pizza napolitaine. Ils s’étaient installés un peu partout et avaient décidé que désormais telles et telles parties du monde étaient à eux… du monde, de la mer et même des airs. Ils avaient écrit des chansons bien barbares qu’ils avaient appelées hymnes nationaux, pris des bouts de tissus qu’ils avaient décorés et nommés drapeaux, enfin, ils avaient retranscrit sur papier l’étendue de ce qui était désormais à eux. Ils ont appelé ça des frontières.
Les femmes, leur vie n’était pas facile. Il n’y avait pas que les locaux qui leur donnaient de l’amour contre leur gré. Il y’avait bien souvent les autres migrants aussi. Il n’y a pas que la guerre qui ouvre un certain appétit pour la violence et d’autres choses aussi. Et la violence, elle n’avait pas de nationalité. On en subissait autant des locaux que de ses congénères. Dans les deux cas, on ne pouvait pas porter plainte, à moins de vouloir être reconduit à la frontière… sans que justice ne soit rendue.
Il en était un peu coupable aussi, de l’entretien de ce mythe foireux. Il publiant des photos sur les réseaux sociaux, laissant croire qu’il vivait une vie de rêve à Oran. En réalité, il travaillait six jours sur sept et gagnait difficilement sa vie. Il prenait des photos en centre-ville avec les seuls habits décents qu’il possédait et les publiait sur Facebook pour vendre du rêve à tous ceux qui étaient encore à Ouagadougou. On y avait tous cru.
Nos vies étaient donc devenues d’énormes spots publicitaires ? Et tout comme les publicités à la télé, elles étaient souvent mensongères. On y exposait des gueules retouchées, parce que nos gueules en vrai, elles n’étaient pas belles à voir. On y mettait même des filtres maintenant, parce que la réalité crue, c’est trop dégueulasse pour être exposé sur les réseaux sociaux.
On y allait donc à coup de tags, d’emojis, de LoLcats et autres selfies bourrés de filtres pour voir la vie comme on voulait qu’elle soit… drôle, colorée, magique. On s’emmerdait plus à essayer de la changer la vie, personne ne se rappelle comment elle était avant. On se contentait de la maquiller, de lui donner une belle gueule.
La Libye ? Ça ne me tentait pas vraiment. En ce moment, ils étaient tous occupés à se mettre vigoureusement sur la gueule avec tout ce qu’ils pouvaient trouver, tous ensemble et à peu près sur toute l’étendue de leur territoire. Un immense terrain de jeu pour grands enfants turbulents. Ça semblait chouette, mais je n’avais pas envie de les déranger. J’y repasserai peut-être un autre jour, quand ils seront moins occupés.
Les migrations c’était d’ailleurs une véritable économie du développement. Ça profitait à tout le monde, ou à peu près. Déjà pour les États africains, les corps dans la méditerranée c’étaient autant de bouches inutiles à nourrir en moins. Non pas qu’ils comptaient les nourrir nos bons chefs d’État, vous imaginez bien, nous ne serions jamais partis sinon. Mais voyez-vous on se porte toujours mieux à savoir ses créanciers morts que vivants, même lorsqu’on n’a aucunement l’intention de payer ses dettes.
Voilà ce qui me semblait être la survivance de la décolonisation. C’était pas fameux ! C’était donc ça l’identité des nègres ? Les persécutions ethniques, les génocides, les viols de masse, la famine chronique ? C’était donc ça l’identité arabe ? Le terrorisme aveugle, le totalitarisme, la négation de l’humanité et ce au sein même des frontières nationales, l’annihilation de la femme en tant qu’être ?
Nos identités ont-elles étés enfouies depuis si longtemps que nous n’en avons plus aucune connaissance ? Je n’en sais foutrement rien ! Je sais en revanche une chose, des saloperies l’Occident en avait fait aussi de bien belles. Et même si aujourd’hui il semblait enfin assagi, à l’échelle de l’existence de l’humanité, un demi-siècle n’était pas une preuve de sevrage suffisante... tant s’en faut.
Je me complais donc à penser que le monde entier est sacrément malade, un point c’est tout. Chacun avait juste ses propres épisodes de démence répartis différemment sur les heures de la journée que constituaient nos exécrables existences.
Les Chinois ne se souciaient pas de quel dictateur dirigeait telle ou telle partie de ce foutoir tant qu’ils y faisaient leurs affaires. Et honnêtement, je les comprends bien. Les Français eux devaient s’occuper de toutes les querelles entre diverses factions dont je ne suis pas sûr qu’ils comprenaient les motivations, même si l’argent ne devait jamais être bien loin. Tout est toujours question d’argent de toute manière.
En somme, les Occidentaux tenaient les cornes du taureau tandis que les Chinois essayaient de le traire. Je leur souhaitais à tous bien du courage. Pour ma part, j’avais décidé que m’en sortir était une peine assez ingrate dans une vie pour se donner la peine de s’imaginer un idéal. Alors les Chinois pouvaient bien continuer à faire leurs affaires et les Occidentaux à s’occuper des nôtres, ce n’était pas moi qui allais me plaindre.