Le problème avec la vie quotidienne, c’est que les soucis n’y sont jamais graves. Ce ne sont pas des catastrophes, mais des petites pointes, des « épines domestiques » (le mot est de Montaigne) fourbes car imprévisibles, continuelles et inévitables. Un évier à déboucher, une toiture à réparer, et les rêves d’harmonie s’effondrent. Nous sommes si peu. Les tracas domestiques sont des drames en robe de chambre. À tout moment, ces phrases (« qui voudra de la tisane ? »), objets (le dessous de plat en liège légèrement brûlé) ou événements (« j’ai ENCORE perdu mes clefs, tu m’ouvriras ? ») transpercent l’épais matelas de déni qui enrobait, croyais-je, mon univers domestique. Quand le tangage est trop important, je m’accroche à ces épines comme à des branches pour ne pas dériver, mais une fois la stabilité retrouvée, elles se changent en piqûres qui infiltrent sous ma peau un acide corrosif.