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Citation de genou


genou
12 septembre 2013
Iris Marle pensait à sa soeur Rosemary.
Pendant près d’un an, elle s’était délibérément efforcée de bannir de sa mémoire l’image de Rosemary. Elle ne voulait pas se souvenir.
C’était trop pénible, trop affreux.
Ce visage tout bleu, ces mains raidies, avec leurs doigts crispés… Le contraste entre cette vision et la Rosemary de la veille, si adorablement gaie… C’est à- dire, peut-être pas exactement gaie… Elle venait d’avoir la grippe, elle était déprimée, abattue. Cela, on l’avait souligné à l’enquête. Et c’est un point sur lequel Iris elle-même avait insisté. Il expliquait le suicide de Rosemary, n’est-ce pas ?
L’enquête close, Iris s’était appliquée à chasser tout cet événement de son esprit. A quoi bon se rappeler ? Mieux valait oublier…
Oublier cette horrible affaire…
Mais, maintenant, elle s’en rendait compte, il fallait se souvenir… Penser fortement au passé… Faire renaître les plus petites choses, même celles qui paraissaient n’avoir pas d’intérêt…
Cette extraordinaire conversation d’hier soir, avec George, le commandait. La chose avait été si inattendue, si bouleversante… Au fait, avait-elle été vraiment inattendue ? Certains signes ne la laissaient-ils pas prévoir ? L’air chaque jour plus préoccupé de George, par exemple, sa distraction, ses façons inexplicables et… mon Dieu, oui, c’était le mot, sa bizarrerie… Tout cela étrange…
Et, hier soir, l’ayant appelée dans le bureau, il avait tiré ces lettres de son tiroir… Non, maintenant, elle ne pouvait pas faire autrement. Il fallait qu’elle pensât à Rosemary. Qu’elle se souvînt.
Rosemary… Sa soeur…
Avec étonnement, Iris s’avisait soudain que c’était la première fois de sa vie qu’elle pensait à Rosemary. Du moins, qu’elle pensait à elle objectivement, comme à quelqu’un. Elle avait toujours accepté Rosemary sans rien se demander à son propos. On ne pense pas à sa mère, à son père, à sa sœur ou à sa tante. Ils existent, voilà tout. En cette seule qualité. On ne se pose pas de questions à leur sujet.
On ne pense pas à eux comme à des gens. On ne se demande même pas qui ils sont.
Rosemary, qui était-elle ?
Il pouvait devenir, maintenant, très important de le savoir. De cette connaissance pouvaient dépendre bien des choses. Iris tourna résolument sa pensée vers le passé. Elle se revit enfant.
Avec Rosemary, son aînée de six ans.
Des morceaux de passé lui revenaient. Des tableaux fugitifs, des scènes rapides. Elle se revoyait toute petite, en train de déjeuner : du pain trempé dans du lait. Rosemary, avec ses tresses, prenait des airs importants : elle avait des devoirs à faire. Puis, c’était le bord de la mer, en été. Iris enviait Rosemary qui était « une grande » et qui savait nager.
Puis, Rosemary pensionnaire, ne revenant à la maison qu’aux vacances. Ensuite, elle se revit elle-même en pension. Rosemary, elle, allait terminer ses études à Paris. Elle partait écolière, gauche, tout en bras et en jambes. Et elle rentrait transformée. Une Rosemary nouvelle, surprenante, élégante, gracieuse, parlant d’une voix douce et marchant avec un onduleux balancement du buste. Elle avait de beaux cheveux châtains, tirant sur l’acajou, et de grands yeux bleu sombre, frangés de longs cils noirs. Une magnifique créature, qui semblait se mouvoir dans un monde tout différent de celui d’Iris.
A partir de ce moment, elles se virent très peu. Jamais...
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