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Citation de genou


genou
12 septembre 2013
Lorsqu’en 1782 le capitaine Roger Angmering se fit construire une maison sur une île située au large de la baie de Leathercombe, on cria au comble de l’excentricité. Un manoir cossu au coeur d’un vaste domaine tout en prairies et en gras pâturages, agrémenté – autant que faire se pouvait – d’un cours d’eau, voilà ce qui aurait convenu à un homme de sa condition.
Mais le capitaine n’avait qu’un seul amour : la mer. Il éleva donc sa maison – une solide bâtisse ainsi que l’exigeait le site – au sommet d’un promontoire battu par les vents, hanté par les mouettes et coupé de la terre ferme à marée haute. Il ne se maria pas : la mer fut son unique compagne. À sa mort, maison et île allèrent à un cousin éloigné que cet héritage incongru laissa indifférent. C’est avec le même manque d’enthousiasme que ses descendants en héritèrent à leur tour. Leurs terres s’étaient réduites comme une peau de chagrin et ce n’était pas ce bout de rocher qui les sortirait de leur débâcle financière.
En 1922, quand le pays tout entier fut converti au culte des Vacances à la Mer et que la chaleur estivale de la côte du Devon et de Cornouailles devint officiellement tolérable, Arthur Angmering s’aperçut que sa belle mais inconfortable demeure fin XVIIIe était invendable. En revanche, il obtint un bon prix de l’insolite propriété léguée par le capitaine de marine Roger Angmering.
La bâtisse fut agrandie et embellie. On truffa l’île de « sentiers pédestres » et d’aires de repos, et une jetée de béton la relia à la terre ferme. Deux courts de tennis furent aménagés, ainsi que des terrasses pour prendre le soleil qui s’étageaient depuis une vaste plage agrémentée de radeaux et de plongeoirs. L’hôtel du Jolly Roger – autrement dit du Pavillon Noir –, sur l’île des Contrebandiers, dans la baie de Leathercombe, fit une entrée triomphale sur la scène touristique. De juin à septembre – plus une courte saison à Pâques –, il était en général bondé. En 1934, de nouveaux agrandissements furent apportés à l’établissement qui s’enrichit d’un bar, d’une salle à manger de plus vastes proportions et de plusieurs salles de bains supplémentaires. Les prix grimpèrent.
— Vous ne connaissez pas la baie de Leathercombe ? entendait-on dans les dîners en ville. Il y a là un hôtel épatant, sur une espèce d’île. Tout le confort, pas de campeurs ni de cars de tourisme. Bonne cuisine et tout ce qui s’ensuit. Vous devriez y aller. Et les gens y allaient.

Au Jolly Roger séjournait une personnalité de tout premier plan, du moins était-ce là l’opinion de l’intéressé. Etendu sur un transatlantique ultra-perfectionné, resplendissant dans un costume d’un blanc crème immaculé, un panama rabattu sur les yeux, les moustaches retroussées avec panache, Hercule Poirot embrassait la baie du regard. La plage était jonchée de matelas pneumatiques, de bouées, de canoës et de kayaks, de jouets en caoutchouc et de ballons. Il y avait un superbe tremplin et, à des distances stratégiques, trois pontons.
Parmi les « baigneurs », les uns se baignaient bel et bien, les autres lézardaient au soleil, d’aucuns encore s’enduisaient d’huile à bronzer.
Installés sur la première terrasse au-dessus de la plage, les «non-baigneurs» devisaient de tout et de rien : le temps, le spectacle qui se déroulait sous leurs yeux, la une des journaux du matin.
A la gauche d’Hercule Poirot, madame Gardener laissait échapper de ses lèvres, doux et monotone, un flot incessant de banalités tandis que cliquetaient ses aiguilles à tricoter maniées avec vigueur. À ses côtés, son mari, Odell C. Gardener, affalé sur un transat, le chapeau rabattu sur le nez, émettait de temps à autre le...
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