Agnes Villalonga

Juliette ne parlait pas, elle n'avait rien à exprimer. Elle ne se trouvait pas dans son monde et le savait. De cousette, elle était devenue modèle. Au début lorsque Monsieur Pommeret l'avait remarquée au milieu de l’aréopage d'ouvrières du tissu qui jacassaient autour de lui quand il passait la porte de l'atelier, elle avait été flattée. Peu à peu le plaisir égotiste d'être l'élue avait fait place à une solitude sans fond. Finis les blagues et les rires avec ses camarades, elle était dans l'antichambre d'un monde dont elle se savait exclue.

Je dois avouer qu'une fois j'ai embrassé la signature qu'il avait apposée en bas d'une lettre, mais c'était juste pour voir si les ondes positives d'un être humain pouvaient passer dans l'encre. Eh bien non, aucune chaleur sur mes lèvres, juste une humidité qui a altéré la seule trace d’humanité de ce courrier !

Elle le buvait des yeux. Plus de quatre années à attendre, à craindre, à imaginer. Il était revenu de ce qu'il surnommait la Grande Faucheuse. Du dos de Paul émanait une lumière envoûtante qui obligeait Louise par instant à fermer les yeux pour ne pas succomber.

Elvira se donnait à ses lettres. Deux mois plus tard, elle lisait quelques phrases de l'abécédaire et à chaque instant volé au quotidien ménager, ne se lassait pas de mettre son doigt sous le texte pour en capturer le sens avec application.

Elvira se donnait à ses lettres. Deux mois plus tard, elle lisait quelques phrases de l'abécédaire et à chaque instant volé au quotidien ménager, ne se lassait pas de mettre son doigt sous le texte pour en capturer le sens avec application.

 Chaque chiffre représente un mort dans le monde, plus de cent cinquante mille par jour. Nous sommes des milliers, Rose, nous communiquons, nous dissertons. Mourir oui, mais quelle trace ? Quel sillon dans l'espace ?