[L]a peur du ridicule est un rouage si essentiel dans l'action contestataire qu'elle devrait faire partie de sa définition même. La plupart des actions du quotidien, qu'elles soient légitimes ou réprimées, peuvent s'effectuer seul sans que cette solitude n'expose spécialement au sentiment d'être ridicule : satisfaction des besoins élémentaires, jardinage, voyage en transport public, consommation de drogue, etc. Aucune de ces activités n'implique d'être réalisées avec d'autres personnes en même temps et au même endroit et, même quand la participation d'autres est prévue, leur défection n'entraîne pas spécialement de peur du ridicule. L'action contestataire, par contre, fait partie des activités globalement légitimes qui, dans les cas précis où elles sont pratiquées seules en public, sont gages de ridicule ou de malaise (elle n'est pas la seule, on peut aussi penser aux applaudissements d'une seule personne dans une salle pleine). Manifester seul dans la rue, faire grève ou un collage seul exposeront à ce sentiment.
[Q]uelle que soit la proportion d'individus sincères ou cyniques, attachés à ceci ou à cela, ça ne change pas grand-chose dès lors que des acteurs souhaitant se mobiliser trouvent des occasions et des discours partagés pour le faire. Quel que soit l'usage qu'ils en font, les mobilisés partagent une connaissance : les revendications de façade sont réputées nécessaires à une action contestataire. Elles font partie de ce qu'est une grève, un blocage, une pétition ou une manifestation. Ils partagent également un savoir minimal sur ce que sont les motifs d'action disponibles au moment présent. Les uns, à certains moments, « croient à fond » à ces motifs. D'autres, [..] faiblement politisés, en jouent pour « s'amuser ». D'autres encore [...] savent que la réussite du mouvement nécessite l'aide [des seconds].