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Biographie :

Maitresse de conférence en sociologie à l'Université Paris Nanterre

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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
La question de la subjectivité demeure ainsi comme une faille entre un monde public marchand où le « travail » répondrait à une motivation purement instrumentale, et pourrait donc être quantifié dans l'optique d'en mesurer l'efficacité, et un monde privé non marchand où l'activité humaine serait déterminée par d'autres finalités, singularisée par la subjectivité, mais dès lors inassimilable à un « travail ». Il semble pourtant important, dans un monde économique contemporain où la part des services est devenue prépondérante dans la production et dans les effectifs salariés, tout particulièrement concernant les femmes, de considérer le travail dans toutes ses dimensions, y compris immatérielles et subjectives. Pour les proches aidant·es de vieilles personnes, les tâches « relationnelles » pourraient même constituer, sinon l'essentiel du travail, le « travail » le plus essentiel.
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Même si le discours sur les violences masculines et les données quantitatives soulignent I'idée selon laquelle les violences existent dans tous les milieux sociaux, certaines catégories de population, en particulier les classes populaires et racisées, peuvent être, plus ou moins implicitement, des cibles privilégiées de l'action publique. Les discours publics et médiatiques contribuent alors à renforcer des processus d'altérisation dans lesquels les violences envers les femmes représentent une ligne de partage entre groupes sociaux. Ce phénomène a notamment été visible au moment où des affaires de « tournantes » ont été médiatisées au début des années 2000¹⁸. En utilisant l'expression « tournantes », les mondes politiques et médiatiques ont construit une catégorie spécifique de viols collectifs – ceux qui se déroulent dans les quartiers populaires et sont commis par des hommes de classes populaires racisés. La médiatisation de ces viols tend à stigmatiser les quartiers populaires en façonnant une nouvelle représentation des classes et des masculinités dangereuses, dans laquelle la violence sexuelle est un pilier de leur constitution comme menace. Comme l'a montré Marylène Lieber, cette logique de territorialisation ou de racialisation des violences sexuelles et du sexisme¹⁹ a été renouvelée à l'occasion de la mise en problème du harcèlement de rue. En particulier lorsqu'elle est associée à des campagnes sur les « relous », mobilisant des expressions du type « t'es bonne, donne moi ton 06... », comme ce fut le cas à Paris, la focalisation sur la rue, plutôt que l'espace public, qui comprend les lieux de sortie, le travail etc., risque à nouveau de concentrer l'attention sur de jeunes hommes de classes populaires et racisés²⁰. Si les pratiques des hommes de classes populaires et racisés, réelles ou supposées, sont donc pensées et présentées comme intolérables dans le régime de genre contemporain, en risquant d'exonérer du même coup celles des hommes des classes moyennes et supérieures, celles des femmes issues des mêmes groupes sociaux peuvent être dans le même temps largement invisibles. C'est en effet la mobilité géographique des femmes de classes supérieures et moyennes qui structure les politiques œuvrant à la sécurité des femmes dans l'espace public?²¹.
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Je me suis particulièrement intéressée aux changements apparus à l'aube des années 1990, au moment de la chute de deux systèmes frontaliers : l'un d'entre eux est l'augmentation du nombre d'immigré·es venu·es des pays européens anciennement rattachés au bloc soviétique. L'effondrement du système de protection sociale dans nombre de ces pays engendra une intensification du mouvement migratoire vers l'Allemagne provenant principalement de Russie. Cette migration se composait de deux groupes distincts : le premier, appelé « réfugié·es du contingent », était composé de Juif·ves russes, tandis que l'autre, plus grand, était composé de ceux qu'on appelait les « Russes allemands ». Ces deux groupes étaient privilégiés à l'immigration par le gouvernement allemand. Le travail domestique rémunéré devint le principal travail effectué par les femmes germano-russes : on en trouvait facilement, il était relativement bien payé, ne demandait pas de formation particulière et pouvait être commencé immédiatement sans compétences linguistiques. Cela dit, la plupart de ces femmes avaient occupé des postes qualifiés en Union Soviétique, en tant qu'ingénieures, enseignantes, traductrices, employées, etc. En d'autres termes, elles vivaient un réel déclin social, pour le court terme au moins, et l'on peut se demander dans quelle mesure il s'agissait (ou s'agit) d'une stratégie familiale dans le cadre de laquelle ce déclin social était vu comme une phase de transition ou comme un mal nécessaire pour bénéficier de la citoyenneté allemande. L'année de la réunification allemande – 1990 – fut également celle d'une augmentation soudaine de demandeur·ses d'asile provenant d'autres pays hors Union européenne (Yougoslavie) ou hors Europe (Afrique) et nous avons été récemment témoins d'une nouvelle vague d'immigration non-européenne nourrie par des guerres brutales, des catastrophes climatiques et une grande pauvreté. Bien que la majorité des migrant·es soient des jeunes hommes célibataires, il y a aussi des épouses et des mères, et un petit nombre de jeunes femmes voyageant seules. Ici encore, nombre de ces femmes cherchent à accéder au marché du travail d'abord par le travail domestique. Par conséquent, je suis convaincue que ce à quoi nous assistons depuis la fn du XXe siècle est la continuation d'une relation établie entre le travail domestique rémunéré et la migration et qu'il s'agit également – de manière similaire, mais pas identique, aux périodes de la fn du XIXe siècle et du XXe siècle d'avant-guerre – d'un choix que font les femmes dans une situation précaire afin d'avoir leur part dans la migration de masse. Et enfin : c'est nous (en tant que classe, en tant que femmes ?) qui bénéficions de leurs options limitées.
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En outre, l'importance croissante accordée aux violences faites aux femmes s'inscrit dans un moment paradoxal du point de vue de leur prise en charge. Le développement de l'action publique a lieu dans une période d'accélération de réformes néolibérales ayant trait aux conditions de travail et d'emploi ou aux services publics. En 2017 en particulier, des ordonnances ont profondément transformé le code du travail, en révélant un traitement contradictoire de la reconnaissance de la spécificité des violences par l'État, et de leur déconnexion des enjeux sociaux et économiques qui conditionnent I'existence des femmes.
[...] la problématisation des violences faites aux femmes se heurte à ces réformes, qui peuvent empêcher d'avoir accès à des conditions de vie propices à une rupture conjugale ou de dénoncer des violences dans le contexte du travail en mobilisant les instances existantes. Ces éléments de contexte laissent penser que le problème des envers les femmes risque d'être réduit à une question spécifique, déconnectée des transformations socio-économiques globales. Les conditions de dénonciation et de sortie de situations de violences, d'autonomie économique. Si l'État peut reconnaître les besoins des femmes victimes, en tant que victimes, déléguer leur prise en charge aux associations spécialisées ou produire des niches pour les traiter, dans la sphère privée ou publique, il ne les reconnaît pas en tant que salariées comme les autres, éventuellement employées dans le cadre de contrats à temps partiel et précaires, qui limitent leur capacité à quitter un conjoint violent, à trouver un logement pour leurs enfants et elles, etc. Pourtant, cette forme de catégorisation occulte les conditions socio-économiques de production de la violence interpersonnelle, ancrées dans des rapports sociaux multiples. Il ne s'agit pas de remettre en cause l'importance de politiques publiques spécifiques aux violences faites aux femmes, mais d'interroger le cadrage de ces violences, qui semblent être pensées comme une question à part, désencastrée des inégalités de genre qui traversent les classes sociales et les groupes racisés, ou des rapports de classe et de race qui les façonnent.
Ainsi, des dispositifs d'action publique ont été spécifiquement créés pour lutter contre les violences envers les femmes. Selon les définitions du problème qu'ils sous-tendent, ils peuvent participer à produire des indésirables du point de vue du genre ou a dénier les conditions matérielles d'existence des femmes. Transparaissent alors les limites de la constitution de politiques d'égalité sans analyse des inégalités et des rapports sociaux multiples qui structurent la vie des femmes.
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Le Perreux le 24 février 1914.

Monsieur le ministre,
Je me permets de solliciter de votre haute bienveillance un grand bienfait.

Je suis bonne chez des Instituteurs qui ont 2 jours de congés par semaine, 12 jours pour Pâques, environ 4 mois de vacances par an et peut-être plus, moi on me donne une demi-journée toutes les 5 semaines si je demande une autre sortie à part cela on parle de me mettre à la porte. Pourquoi, Monsieur, un inspecteur ne passe-t-il pas dans les maisons ou il y a des bonnes surtout depuis que le repos hebdomadaire est voté ; il parait qu'il s'applique à tous les employés. Alors je ne sais pas pourquoi certains patrons prennent leurs bonnes comme des serfs.

J'espère en votre bonté Monsieur le ministre, et croit que bientôt je serai comme tous les employés que j'aurai droit a [sic] mon jour de repos.

Recevez Monsieur le ministre de votre humble serviteur les respectueuses considérations.

Eugénie Pinton.
Rue du Bac 11 bis²⁸.

Eugénie Pinton explique d'emblée que la négociation avec ses mployeur·ses a été un échec, ce qui lui permet de solliciter une mesure générale de protection. Elle souligne d'abord, chiffres à l'appui, l'écart entre sa propre situation et celle de ses patrons, qui se voient accorder par l'Etat des repos réguliers et prolongés. Or, pour Eugénie Pinton, en tant qu'employeur, il semble que l'État ait une mission d'exemplarité : ce que l'Etat fait pour ses employé·es devrait être rendu obligatoire pour l'ensemble des employé·es, même du secteur privé. Dès sa troisième phrase, la domestique fait reférence à la procédure habituellement engagée pour faire respecter la loi de 1906 : la sollicitation d'une visite de l'inspection du travail. Cette référence prouve qu'elle connait les principes du roit du travail, même s'ils ne s'appliquent pas à sa situation. La référence à la servitude peut être interpretée comme une tentative d'interpeller vigoureusement un gouvernement se positionnant comme ardemment républicain, opposant les déclarations de prinpes à la réalité de sa « condition ».
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Conclusion politique tirée de cette analyse : si la famille est un centre de production essentiel au cycle productif du capitalisme et à la vie même, elle peut aussi être un centre de subversion. Disposant de cet espace de lutte, les femmes au foyer n'ont pas, pour s'organiser, à entrer dans le monde du travail salarié, tel que le préconisaient la gauche et le mouvement des femmes, mais plutôt à se mobiliser à partir du lieu même de leur exploitation, à savoir la cuisine. Elles peuvent de là subvertir le processus d'accumulation du capital, lutter contre la division et l'organisation du travail, et ainsi détruire le rôle de ménagère. C'est ce qui fut qualifié par les théoriciennes du salaire au travail ménager de « contre-stratégie depuis la cuisine ».
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Au total, les diférents discours d'opposition au salaire au travail ménager qui ont été tenus dans le mouverment des femmes aboutiront in fine à une conclusion similaire : le salaire au travail ménager ou, plus souvent, le salaire « à la ménagère », est une mesure essentialiste, et n'est pas une solution à retenir au regard de l'autonomie économique des femmes. Il contreviendrait à l'objectif d'égalité hommes-femmes. Les féministes de la gauche firent chorus avec les féministes libérales dans ce verdict.
Le débat s'apaisa au milieu de la décennie 1980, des « belligérant·es » du domestic labour debate disant vouloir aller « au-delà⁴¹ » alors que d'autres chercheuses se tourneront vers des recherches historiques et empiriques⁴². D'autres enfin délaissèrent l'économie politique à la faveur de la montée des approches poststructuralistes. Peu à peu, l'élaboration théorique même du « travail domestique » fut interrompue⁴³.
Pour leur part, les militantes des mouvements des femmes un peu partout préférèrent contourner la question du travail domestique et de reproduction, et miser plutôt sur l'accès au marché du travail pour « s'affranchir », quitte à avoir recours à de « l'aide à extérieure » pour ls soins de la maisonnée. La reproduction sociale comme priorité stratégique des mouvements de femmes, fut mise sur la touche⁴⁴.
On assiste depuis à un renforcement des rapports d'exploitation entre femmes. Ces rapports s'observent notamment dans la migration accélérée de femmes de l'autre bout de la planète, appelées à « voler au secours » de femmes plus fortunées afin d'exécuter, à des prix défiant toute concurrence, des travaux domestiques et de soins de tous ordres aux familles. Certaines théoriciennes du mouvement du salaire au travail ménager, notamment Silvia Federici et Dalla Costa, ont qualifié ce recours à une main-d'œuvre féminine venue de pays pauvres de « solution coloniale », participant d'une nouvelle division sexuée du travail reproductif dans le monde.
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L'aide apportée aux personnes âgées étiquetées comme dépendantes n'est alors, pas plus que le travail domestique à destination des autres membres du foyer, perçue comme « travail» par ses protagonistes. Elle est le plus souvent naturalisée parce qu'envisagée dans le registre normatif de la sphère privée, comme allant de soi. Cette activité répond pourtant à une obligation d'entraide liée à la parenté¹¹ : c'est « en tant que » conjoint·es, filles/fils, ou petites-filles/petit-fils, que les différentes aidant·es s'y engagent,  parce qu'ils et elles ne « peuvent pas ne pas¹² ». Leurs pratiques varient selon leur statut dans la parenté, leurs trajectoires filiales, conjugales, professionnelles, ou encore « la recherche d'électivité dans le lien au parent affaibli¹³ ». Mais dans tous les cas, cest la construction et l'entretien du lien familial qui est en jeu, sur le mode du « don », par l'intermédiaire de la dette contractée au fil des gestes d'entraide, tout au long de la vie, et jamais soldée¹⁴.
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La question du service domestique depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours présente un certain nombre de caractéristiques complexes qui, malgré les très grands changements structurels opérés en deux cents ans, ne sont toujours pas résolues – que ce soit sur le plan économique, social ou politique. Le travail domestique rémunéré est, jusqu'à aujourd'hui, étroitement lié à la migration féminine, au problème des frontières floues entre ce qui est considéré comme un travail et ce qui ne lest pas, au défi d'une implication émotionnelle et, notamment, aux difficultés d'une organisation efficace des travailleuses afin d'améliorer collectivement leurs conditions de travail. C'est une histoire passionnante qui n'est pas terminée et qui ne peut être étudiée qu'en admettant son caractère intersectionnel (ce que je dus faire, avant la lettre, il y a quarante ans). Je remercie les directrices de cet ouvrage de m'avoir permis de revisiter ce sujet.

Dorothee WIERLING
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[...] le féminisme des années 1970 était principalement marxiste, même si le marxisme à l'époque n'avait que peu à dire sur les femmes ou sur le sujet de la reproduction et encore moins sur le travail domestique. D'où les tentatives plutôt grossières pour comprendre ce dernier à travers le prisme de la critique du capitalisme : en ignorant la division du travail basée sur la classe et le sexe dans le « foyer » pré-moderne ; en se fondant sur un concept de pouvoir exclusivement basé sur l'argent ; et en se concentrant sur une « résistance » collective et politique. Par ailleurs, la partie relative à la femme au foyer moderne dans sa version états-unienne faisait abstraction de la continuation du travail domestique rémunéré, transféré aux « aides de maison » noires et latino-américaines. Les questions de race et d'ethnicité n'étaient pas encore à l'ordre du jour pour les féministes des années 1970.
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