HANNETONS, HAMEÇONS ET HANOTAUX
En lisant, avec intérêt, le Balzac imprimeur, de M. Gabriel Hanotaux, nous avons rencontré, avec un intérêt plus grand, la phrase suivante : « Il éparpilla sa vie entre les diverses « inconnues » qui se prirent au hameçon de sa gloire » (Le Journal, 25 mars). Nous pensons bien que l’honorable et récent signataire du « Rapport sur l’orthographe et sur la syntaxe présenté à l’Académie française » n’a point aspiré cet h sans de pertinentes raisons. Il obéit au même instinct qui fait que le peuple dira toujours plus facilement, plus naturellement « un n’hareng », « des z’hannetons » et « le hameçon » que ce que la grammaire prescrit de dire. Sans doute n’y a-t-il là qu’une simple recherche du plaisir de la désobéissance, et une curiosité de l’inattendu. On goûte ce furtif plaisir, usé mais toujours pur, par un exemple emprunté au théâtre : l’admirable Magloire, des Pilules du Diable, chu du haut des airs dans la verrerie, raconte à Seringuinos ses terreurs fantastiques au sujet « d’un gros oiseau…
— Un z’oiseau ? » s’exclame spontanément son auditeur. M. Hanotaux n’a eu en vue que de se donner et nous donner l’une des rares joies que nous réserve encore notre langue ; mais il a eu tort d’en mettre le sujet par écrit ; qu’arrivera-t-il à présent que, par son initiative autorisée, il fait officiel l’hiatus défendu, clandestin, et qu’on n’osait entrevoir qu’à la faveur éphémère du langage parlé ? C’est de l’expression académique, tombée désormais en désuétude, qu’on aura envie de s’emparer.
Et ceci ne peut manquer d’occasionner une contre-réforme de la réforme de l’orthographe, beaucoup plus subversive puisqu’elle remettra tout dans l’ancien ordre. M. Hanotaux ne pouvait-il donc se divertir à soléciser sans sortir de chez soi, étant à ce point favorisé de la nature qu’il en a reçu un nom dont l’article, plus fortuné que celui du hanneton ou de l’hameçon, s’élide ou ne s’élide point, au gré des personnes : l’hanotaux ou le hanotaux, car l’un et l’autre se disent ou se dit.