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Citation de SZRAMOWO


Extrait de Cinq-Mars

Les adieux

Fare thee well, and if for ever,
Still for ever fare thee well.
Lord Byron.

Adieu ! et, si c’est pour toujours,
pour toujours encore adieu…

Connaissez-vous cette contrée que l’on a surnommée le jardin de la France, ce pays où l’on respire un air si pur dans les plaines verdoyantes arrosées par un grand fleuve ? Si vous avez traversé, dans les mois d’été, la belle Touraine, vous aurez longtemps suivi la Loire paisible avec enchantement, vous aurez regretté de ne pouvoir déterminer, entre les deux rives, celle où vous choisirez votre demeure, pour y oublier les hommes auprès d’un être aimé. Lorsque l’on accompagne le flot jaune et lent du beau fleuve, on ne cesse de perdre ses regards dans les riants détails de la rive droite. Des vallons peuplés de jolies maisons blanches qu’entourent des bosquets, des coteaux jaunis par les vignes, ou blanchis par les fleurs du cerisier, de vieux murs couverts de chèvrefeuilles naissants, des jardins de roses d’où sort tout à coup une tour élancée, tout rappelle la fécondité de la terre, l’ancienneté de ses monuments, et tout intéresse dans les œuvres de ses habitants industrieux. Rien ne leur a été inutile : il semble que, dans leur amour d’une aussi belle patrie, seule province de France que n’occupa jamais l’étranger, ils n’aient pas voulu perdre le moindre espace de son terrain, le plus léger grain de son sable. Vous croyez que cette vieille tour démolie n’est habitée que par les oiseaux hideux de la nuit ? Non. Au bruit de vos chevaux, la tête riante d’une jeune fille sort du lierre poudreux, blanchi sous la poussière de la grande route ; si vous gravissez un coteau hérissé de raisins, une petite fumée vous avertit tout à coup qu’une cheminée est à vos pieds ; c’est que le rocher même est habité, et des familles de vignerons respirent dans ses profonds souterrains, abritées dans la nuit par la terre nourricière qu’elles cultivent laborieusement pendant le jour. Les bons Tourangeaux sont simples comme leur vie, doux comme l’air qu’ils respirent, et forts comme le sol puissant qu’ils fertilisent. On ne voit sur leurs traits bruns ni la froide immobilité du Nord, ni la vivacité grimacière du Midi ; leur visage a, comme leur caractère, quelque chose de la candeur du vrai peuple de saint Louis ; leurs cheveux châtains sont encore longs et arrondis autour des oreilles comme les statues de pierre de nos rois ; leur langage est le plus pur français, sans lenteur, sans vitesse, sans accent ; le berceau de la langue est là, près du berceau de la monarchie.

Mais la rive gauche de la Loire se montre plus sérieuse dans ses aspects : ici c’est Chambord que l’on aperçoit de loin, et qui, avec ses dômes bleus et ses petites pôles, ressemble à une grande ville de l’Orient ; là c’est Chanteloup, suspendant au milieu de l’air son élégante pagode. Non loin de ces palais un bâtiment plus simple attire les yeux du voyageur par sa position magnifique et sa masse imposante ; c’est le château de Chaumont. Construit sur la colline la plus élevée du rivage de la Loire, il encadre ce large sommet avec ses hautes murailles et ses énormes tours ; de longs clochers d’ardoise les élèvent aux yeux, et donnent à l’édifice cet air de couvent, cette forme religieuse de tous nos vieux châteaux, qui imprime un caractère plus grave aux paysages de la plupart de nos provinces. Des arbres noirs et touffus entourent de tous côtés cet ancien manoir, et de loin ressemblent à ces plumes qui environnaient le chapeau du roi Henry ; un joli village s’étend au pied du mont, sur le bord de la rivière, et l’on dirait que ses maisons blanches sortent du sable doré ; il est lié au château, qui le protège par un étroit sentier qui circule dans le rocher ; une chapelle est au milieu de la colline ; les seigneurs descendaient et les villageois montaient à son autel : terrain d’égalité, placé comme une ville neutre entre la misère et la grandeur, qui se sont trop souvent fait la guerre.
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