(Le colonel Sharif, lors de son procès politique). "Je dis que la guerre est un fait : elle est inévitable, mais il faut en respecter les règles, respecter ses droits.
- Quelle règle, quel droit ?
- La guerre est l'affaire des militaires, non celle des volontaires et des simples citoyens qui marchent sur les mines ou qui, bourrés d'explosifs, s'avancent vers les troupes de l'adversaire.
- Vous allez très loin, colonel, dit le juge. Nos héros se sacrifient pour Dieu.
- Oui, monsieur. C'est en effet une forme d'héroïsme, mais n'oubliez pas qu'en se tuant pour tuer l'autre, on fait le premier pas vers le terrorisme."
p.189
L'incompréhensible, c'était leur triste manière d'exprimer la joie spirituelle. Ils pleuraient à chaque occasion, comme s'il n'était d'autre façon d'aimer que d'être malheureux. Ils croyaient avoir trouvé l'exacte et unique vérité. En les écoutant, j'avais l'impression que la vie était plus horrible que toute mort ; que le corps devait passer de la vie terrestre à la grande vie éternelle, qu'on devait tendre vers une vie intemporelle. Pour eux, la vie n'était qu'un rêve, et là, on s'éveillait à la mort.
Mais je ne parvenais pas à concevoir que l'on pût à ce point faire l'éloge de la mort.
p.151
Juchés sur un camion, deux volontaires distribuaient des pelles pour creuser de nouvelles tranchées. Ils prétendaient que le commandant en chef nous avait laissé le choix de préparer une tranchée individuelle ou collective, bien qu'on parlât sans cesse de l'unité des âmes et de nos armées... Il y avait (aussi) des volontaires qui, dans l'idée de mourir, excavaient le sol pour faire des trous comme des tombes, qu'ils appelaient "chambre nuptiale pour les amoureux de Dieu."
Mais peu importait le sens que chacun donnait à sa demeure passagère ; il devait creuser son trou dans la direction de La Mecque et non pas en fonction de l'ennemi qui était en face. Du coup le mollah de notre régiment, à l'aide d'une boussole, nous montrait l'orientation des sépultures.
pp. 71-72