Y’a du Sang
Y’a du sang
dans ma douceur
Y’a des révoltes
dans les fleurs
Y’a un cœur
rouge vibrant
strié de noir
aux cauchemars
récurrents
Y’a la perte
y’a le temps
y’a toi
rayonnant
à la plage
au milieu
de trois enfants
y’a la peur
de baisser les bras
de pas y arriver
y’a la hantise
qu’un jour tout soit fini
qu’un jour
on ne s’entende plus
qu’un jour
on ne s’aime plus
Y’a la bourrasque
des inconnues
dans le sommeil
très agité
Y’a du sang
dans mes cauchemars
des abandons
des têtes passées
des bébés crocodiles
des grenouilles qui se noient
des sens sensation d’effroi
Y’a de l’eau
des aquariums
des mots qui planent
des voix
mais qui fait le premier pas d’habitude
Y’a les déchirements
les hurlements
la douleur
l’impuissance
à accepter
l’abandon
le désamour
Y’a tant de cris
dans ma douceur
tant
et tant
silence
de mon air
je ne fais jamais beaucoup de bruit
Sang silencieuse
mon cœur explose
quand dort
le reste du corps
CURIOSITÉ
À Maram al-Masri
Hier soir en attendant le bus
je lisais un livre
bilingue arabe-français
Une femme s’approche de moi
vous lisez l’arabe
je ne lis que la traduction
je ne connais pas l’arabe
vous êtes française
oui
Air étonné tout en étant ravie
de voir des bouts de son pays
Elle lit et me fait répéter
elle me montre une voyelle
répète
moi il nous
là ça veut dire qui brille
répète
elle m’offre un bouquet de langue
veut que je la suive dans les sons
Je souris heureuse de cet échange
elle m’offre son cœur au bout de la langue
Aline Recoura, « Voyager », Banlieue Ville, éditions La Lucarne des Écrivains, 2020, page 99. Peintures de Marjan.
La danse du stylo
Les pas au bout de la rime
pompes et son hip-hop style
des sauts aux performances
un air rétro dans le flow
les muscles dopés burpees
une graphie au corps courbé
l'entorse scandée des mots
le verbe pulse ses métaphores
gainage des souffles
traction au sol
salto arrière crunch abdos pour les virtuoses
le sens décolle la langue s'étire
mouvement au bout des lignes
tendons s'habillent novelangue
beatboxing géants et les platines
smurf même à genou
le stylo fou gratte la feuille
Athlète au rythme US
rapper in-utéro pour les adeptes
un rendez-vous soupçon mégalo
virevolte dans l'air du temps
(p. 10)
Libération
Souvent de mon rien à dire
sort l’inattendu
on pense souvent qu’il ne se passe rien
dans notre vie
ou trop tellement qu’on a pas le temps
que rien n’est intéressant
même si rien est intéressant
quand il faut toujours être quelque chose
ou quelqu’un
je dis raconter ma vie
c’est pas vrai
je ne raconte pas
quand je me lave les dents
quand je mange des avocats
quand je me délecte d’une cuillère de miel
aux fleurs
quand je fais l’amour
si j’écrivais à chaque fois
ce serait répétitif et lassant
le vrai quotidien
j’improvise au jour le jour
(p. 69)
Danser et embrasser
toute la nuit dans ses rêves
un peu mal partout
aller travailler
j’imagine un balcon
avec vue sur la campagne
j’imagine que je n’ai pas
à m’habiller tout de suite
j’imagine que je peux lire
ou écrire ou écouter une émission de radio
j’imagine que je suis libre de mon temps
j’imagine que j’ai tout changé
que peut-être je suis en crise de quarante-sizaine
j’imagine que je garde mon salon et mes livres
juste ça
et que je déplace tout ailleurs
j’imagine
mon café est bu
je cherche mes clés
je vérifie que je n’ai rien oublié
(p. 124)
J'ai vu un ange de village
beau d'ange
yeux d'ange
bouche d'ange
bleu de travail
au comptoir
(p. 78)
Que veulent-ils nous dire ?
Avec les réseaux sociaux
et mes lectures contemporaines
j’ai perdu une littérature
celle de Walser Ramuz Dhôtel
des univers que j’affectionne
qui me font vagabonder
dans l’humain et ses croyances
Aujourd’hui on dirait
qu’on fuit le brouillard
le trouble
le temps qui oublie
de se lever
(p. 67)
J'ai entendu un maraîcher
dire au Biocoop
Donner des noms de femmes
à des patates et des salades
c'est curieux
Là, j'étais d'accord
(p. 111)
Y’a pas d’âge
Aimer par corps à coups de cœur
je ne veux pas de maison élue domicile
un carrelage froid une pièce abandonnée
un duvet des draps usés un peu de café
lune soleil dardant leurs lumières
muscles poils et sueurs saveurs
odeurs d’un logis où vivent les bougies
soupe sur le feu poireaux carottes navets
pommes de terre à feu moyen
feu fort rougit les seins nues
ébouriffe les cheveux de nos danses
Un doux cœur à cœur
galop féroce dans l’entrée
chatte dormante sur le coussin
de l’eau à la lave j’attends à toi
tes souffles ténus tendus retenus
en flux tendus à peau carrée
œillades répétées aiment
affolées par mon port de tête et mes os fins
Ta tête amarrée sur mon pubis
j’exile mes pensées dans l’écume
les suit les laisse flotter
la mouette en moi sur l’eau salée
retrouvée en notre amour
ma bouche te calme avant
avant la bête vive qui mord
En notre amour une expérience
la mort qui pousse dans l’intense
comme vent fort dans les voiles
conscience de la disparition
la mort à nos trousses surveille
garder les étoiles en attraper les pointes croquer
gourmandise avalée-léchée-pelée-sucée
embrassée en mémoire ce qui n’a pas été fait
aimer sur le tard comme nouveau mot adulescent
s’embrasser dans la rue se prendre la main se toucher
se toucher tout le temps savourer
ça existe bien ce corps on peut le palper le serrer
il veut faire qu’un comme avant la naissance
on s’en fou des antinomiques morales de l’amour
on s’aime tard comme si c’était trop tôt
on s’aime ado comme si c’était trop beau
ça dure les draps défaits la nudité
la peau cajolée ensorcelée de tours
magie de nuit magie de jour
y’a pas d’âge pour l’amour
Cinéma
Tournage à l'épicerie
tournage au Burger Shop
chevalier de la série
carnaval dans la cité
une dame passe
acheter des côtes d'agneau
insolite jusqu'au terrain de jeu
l'air s'étire dans l'imaginaire
(p. 6)