Je m’apprête à descendre l’escalier lorsque j’aperçois mon reflet. J’ai pris dix ans en une nuit. Aucune chance que cette chose dans la glace soit la personne que j’étais hier. Elle a bien l’apparence de ce que je ressens en ce moment. Ce doit être un miroir magique, qui vous montre votre état intérieur. Si une telle chose existait, elle permettrait à beaucoup de personnes de se faire porter malade. Imaginez si l’on pouvait lire sur votre visage chaque chose que vous ressentez mais n’exprimez pas habituellement. On pourrait décrypter à quel point vous avez mal au ventre en fonction des rides qui vous creusent la face. Ou bien l’intensité de votre gueule de bois selon la pâleur de votre peau et la largeur de vos cernes. Mais il serait aussi possible de détecter la dépression , qui est loin de se déchiffrer sur le visage de celui qui la subit. Le miroir de vos émotions rendrait alors impossibles les faux-semblants. Tout le maquillage du monde ne suffirait pas à masquer votre désespoir. On se sentirait obligé de vous aider rien qu’en vous regardant.
Avant, mon esprit indépendant et mon incapacité à me préoccuper des banalités qui font la vie d’une ado un parcours du combattant donnaient l’illusion que l’avis d’autrui m’importait peu. Ce qui était partiellement vrai. La vie de tous m’importait peu. L’avis de certains m’importait trop. Dix ans plus tard, les choses s’inversent. L’avis de tous m’importe, car je n’ai plus rie à prouver à la minorité de personnes qui me sont proches. J’ai enfin cessé d’accorder un intérêt démesuré à ce que pensent mes parents de ma vie et de mes choix.