La cuisine n'est pas l'affaire des vieux : la preuve, c'est que quand nous avions dix ans, nos grands-mères étaient encore jeunes.
Entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, avant que l'hécatombe de la Grande Guerre ne saigne le Gers, vivait dans une belle aisance et dans un bel immeuble de la rue du 4-septembre, à Auch, un "original". Ainsi appelait-on ces farfelus à cette époque.
Fin juin, il faisait rouler les tapis, envelopper les lustres, décrocher les rideaux, poser des housses sur les meubles. Ses malles garnies et refermées, il envoyait tout son personnel de maison en vacances pour tout le mois de juillet : il avait la fibre sociale. Il faisait ensuite charger ses bagages dans une voiture, dont il est inutile de préciser qu'elle était à cheval, pour descendre à la gare d'Auch. Une fois arrivé à la gare, les malles et l'original étaient transférés dans l'omnibus, à cheval bien sûr, qui faisait le service des hôtels. Et direction l'Hôtel de France, qui était, et qui est toujours, exactement en face du domicile de l'original. On l'y installait pour un mois et, fin juillet, le même scénario se déroulait dans l'autre sens.
À ceux qui lui demandaient pourquoi il passait son mois de vacances en face de chez lui, il répondait : "Le climat de la ville me convient, la cuisine de l'Hôtel de France aussi. Et je peux aussi faire ma partie de manille chaque après-midi au café Daroles ; je ne la manquerais pour rien au monde !"