Citations de André Frédérique (43)
IDÉE FIXE
Je suis capable de tuer mon père
si mon père flottait
et qu'il me faille un radeau
ayant la forme de mon père
pour flotter sur les eaux.
Je suis capable de tuer ma sœur
s'il fallait du sang rouge
pour peindre son cœur.
Je suis capable de tuer mes deux enfants
s'il fallait les soustraire à l'école
et qu'ils ne sachent jamais
la règle des participes.
Je suis capable de tuer Dieu
s'il me fallait mourir
afin qu'il me pardonne
et qu'il voie que tuer ce n'est qu'une habitude.
Cyclisme
À Jean Carmet
L'archevêque était jaloux du curé. La curé avait une bicyclette. Parfois il roulait, lâchant son guidon pour lire son livre de messe. L'archevêque le voyait passer tout noir sur ses roues d'acier devant sa fenêtre, tantôt sifflant, tantôt souriant, grisé de vitesse. Il cornait avant le tournant. Quelquefois, si une oie barrait le chemin, il sonnait avec un timbre placé devant le frein.
Le soir, au retour, il croisait des camions lourdement chargés ou d'autres qu'il fallait dépasser, qui remontaient vers la ville. C'était le gros klaxon qui marchait, sur le côté droit du guidon, à côté de la petite trompe.
Quand il faisait beau sur la route le dimanche, les jeunes carmélites s'en revenaient par quatre ou cinq en chantant. Le curé les dépassait en les prévenant au moyen du grelot attaché sur la selle. Pour les encombrements, les foules, les obstacles imprévus, une sirène magnétique fixée au milieu du guidon communiquait à sa pédale de gauche.
Il avait d'autres accessoires de secours, des trompes marines, une sorte de petit cor qu'il portait sur l'épaule. Et même, sur la tête au-dessus de son chapeau rond, une grande batterie de cuivre avec deux mailloches feutrées, dont il ne se servait que très rarement, très rarement, pour faire envie à l'archevêque.
N'A-QU'UN-ŒIL
Non pas géant bien qu'il fût seul
et qu'il atteignit les oiseaux
et que sa tristesse fît pleurer les eaux
d'une caresse longue et pâle.
Non pas dieu qu'il fût vieux
et fou et créât des démons
jetant des feux autour des branches
croisées sur ses bras noueux.
Non pas esprit bien qu'il fût sage
c'était le soir un cri plus qu'un être
qu'on croyait reconnaître
dans le secret de son sommeil.
MUSIQUE
À Pierre Barbaud
extrait 2
Quand tout est prêt, il fait jouer sa messe dans la cave de l'église par des musiciens à cheval que l'on a fait boire. L'ébranlement se communique aux voûtes Jusque devant le portail, où l'audition est atténuée pourtant, le sang gicle de l'oreille des fidèle. des personnes âgées s'effondrent, des poumons cèdent. Les vitraux se brisent, du toit les plâtres retombent sur les statuettes décapitées des saints et de la Vierge.
On retrouva le prêtre évanoui sous un amas de verre, de poutres. Par moments il avait cru voir la terre s'entrouvrir. Dieu est content.
MUSIQUE
À Pierre Barbaud
extrait 1
Il écrit une messe au piano en commençant par la main droite : une seule voix sur la portée pendant quatre cents pages. Au-dessous de celle-ci, une seconde voix dans un autre ton, sans se soucier de la première.
Pour un parent qui barytonne et ne veut entendre parler que du ton de do dièse, il est amené à e écrire une troisième. Pus une quatrième pour la basse. Et comme il juge que l'œuvre n'est pas assez étoffée, il y ajoute des cloche, une petite fanfare. Cela ne le satisfait pas encore. Pour donner du rond, il double toutes les voix, fait entrer dans l'alléluia un jeu de bouteilles, des crécelle, des fouets, un petit mortier paragrêle chargé de gros plombs et dont le canon est dirigé sur des plaques de tôle. Il lui faut un chœur de jeunes filles, rythmé par le choc de lattes de bois, un groupe de scies électriques renforcé par des haut-parleurs.
…
LE CROCODILE
Le crocodile du notaire faisait
peur aux enfants qu'il
guettait au fond de la maison
dans sa niche il attendait
en comptant les minutes
la sortie du saute-ruisseau
aussi dut-on le tuer
avec du sublimé jusqu'à
ce qu'il fût de moins en
moins crocodile
d'abord
codicille puis
cédille à
sa mort il ne restait de lui qu'
un
cil
L'enfant boudeur
Extrait 4
au frotteur de parquets champion de bridge plafond
au troume au solitaire à conazor
à la soutane à la peau de cochon au dieu
Frouda
à la turidité au hussard de
Bretagne à un
jeu polonais trouvé par
Sienkiewicz
au pouce-cul au solfège aux deux sœurs de
Barbaud
à mirer les alouettes à la morve au farcin
au mariage blanc au mariage vert à la guimauve
au jeu des gâteaux à madame
Room
à l'officier prussien à l'eukonaze au bugle
à l'enfant naturel au knout au saladier
—
Non, j'aime mieux étudier.
L'enfant boudeur
Extrait 3
au canard portugais à la înarche en dentelle
à la lanterne froide au pharmacien comique
au domino sur glace à la pouille au chien de pique
au hoquet chinois à l'over armstroke
au loup garou au loup couché au loup vendu
au vilbrequin à l'aromé au cadavre exquis
au prote
au touche-zizi à la veule au cornac
à la pinacothèque à la petite marchande de carions
…
L'enfant boudeur
Extrait 2
au caviar à poisse-Dudule
au mirliton dans la pendule
a la lutte jaune au ramagot
a
Pousser grand-mère dans les lavabos
a
Pince-mie et pince-moi en bateau
à la paix royale au souci de sincérité
à la chaude-meurotte au jeu des abbés
à déformer le nom des ministres du culte
au chapeau du jurisconsulte
veux-tu jouer â la bataille des tomates
au pasteur protestant à la loupe à
Tatate
à
Zaine
Phozieux au riz-pain-sel
…
L'enfant boudeur
Extrait 1
Veux-tu jouer à la pirouelle
à la redouble au rat musqué
veux-tu jouer à la sauguette
au goligode au ziponblé
veux-tu jouer au jeu de l'ange
à l'ceil-au-dos au mort parlant
veux-tu jouer à cache-mésange
à mouton-bêle à baille-au-vent
veux-tu jouer à croque-au-sel
au déserteur à la logorrhée
veux-tu jouer à l'espincelle
à tête d'or aux estropiés
veux-tu jouer au jeu de l'hombre
sur le mur blanc les mains croisées
veux-tu jouer à compter le nombre
des poissons-chats dans l'océan
veux-tu jouer à la marelle au cervelas
au pince-joue au drela
…
POÈME DU VICAIRE
On avait dit au vicaire tout à fait par hasard « Vous devriez faire de la poésie » et le vicaire avait composé un poème, entre autres, dont les deux premiers vers étaient :
J’aime la bonne soupe
Le soir après les vêpres
Il le montra au curé qui lui dit : « Pour la première fois, ce n’est pas mal cette histoire de soupe ; mais ça ne rime pas et ça n’a pas de rythme. À mon avis, si vous n’alliez pas si souvent à la ligne, ça serait de la prose. »
Et le vicaire concéda qu’il pourrait introduire quelque coupe. « Une coupe de vin ça n’est pas déplacé dans un bon repas et ça rime avec soupe. C’est ennuyeux pour les vêpres, dit-il, je ne vois que cèpes, mais il manque un r. Est-ce permis ? ou alors lèpres, mais comment introduire ce mot dans un morceau si joyeux ? »
« Voyez-vous, fit le curé, c’est là la difficulté de la poésie. »
Et le vicaire haussant les épaules conclut « C’est un genre faux », et n’en écrivit plus jamais d’autre.
HERMINE : Quel est votre type de femme ?
LE JEUNE HOMME : Mon type de femme ?
HERMINE : Une actrice, par exemple.
LE JEUNE HOMME : Ah ! Une actrice… Zizi Miro.
HERMINE : Elle n’est pas connue.
LE JEUNE HOMME : Je la connais. Elle habite le même palier que moi.
HERMINE : Une actrice célèbre…
LE JEUNE HOMME : Tonia Nova.
HERMINE : Que cherchez-vous, dans le mariage ?
LE JEUNE HOMME (il rit, gêné)
HERMINE (elle note) : Bien… Répondez sans réfléchir : préférez-vous votre père ou votre mère ?
LE JEUNE HOMME : Ma sœur.
La belle affaire de vendre une paire de chaussures à une personne qui a besoin d’une paire de chaussures ! Je n’appelle pas ça un vendeur, mais un distributeur. Ah, si vous réussissez à vendre à un monsieur qui est venu pour acheter un pyjama rayé, une tondeuse à gazon et un service à porto, d’accord, vous avez droit à toute notre reconnaissance…
Des amours entre hommes et femmes…ça me paraît un peu risqué… Je choquerais mon public, qui est habitué à voir des situations normales… Des accouplements entre polyèdres et logarithmes à haute tension, ou des épousailles de radiolaires sur gélatine.
Du côté de Grenelle les rues de Paris sont en noir et blanc, les maisons basses cachent des artisans mystérieux qui fabriquent dans le silence d'une échoppe encore éclairée à la bougie des Bibles truquées pour les Chinois.
... jamais l'arbre de son existence ne serait assez fourchu pour épouser le labyrinthe de ses désirs. Il ferait donc comme le sage, qui abandonne la poursuite du bonheur qui, dit-on, est impossible. Ou comme le bolide qui trompe l'ennui de la voie en buvant la vitesse à grandes goulées. Sa méthode : faire comme s'il avait le temps pour lui. Pour ça il devait rester le complice de son enfance, ce qui maintenant devenait difficile. Peu à peu il se sentait gagné par le confort des adultes. Il n'était plus du tout sûr de tenir le coup, il craignait de perdre de vue son jeu personnel et se voyait tout à coup embarqué dans la compromission avec les grandes personnes.
ANATOMIE
À Jacques Audiberti.
Homme en cinq lettres
Portant hache en tête
Terminé par un œud
Sur fond blême
Échafaudage échaudé
De jambages
Hormone étriquée
D'os douteux
Agile assemblage
D'air et d'ennemis
Au milieu
Comme une pomme
Assommée sur l'arbre
avant de tomber
sur la terre écrasée
Écartelée entre deux
gens d'arbres
Homme unique
Uni par le cu -
rieux visage
de tes vagues
au plus haut con -
fluent des nuages
magma d'âmes incomplètes
et de viandes muettes
ô acheteur de haine
et d'amour briseur d'eau
Homme en un mot
****** PAS DE CLERC ******
Je n'ai pas vécu comme un bandit traqué
Non ! J'étais clerc d'huissier .
Et j'ai toujours vécu comme un bon clerc d'huissier
Entre deux autres clercs et entre deux dossiers .
Chaque soir en rentrant , je m'essuyais les pieds
Ainsi que doit le faire un parfait clerc d'Huissier .
Et quand je décidais un jour de me marier
J'épousais gravement la fille de l'huissier .
Et j'ai toujours aimé comme un doux clerc d'huissier
Chaque soir en rentrant de donner un baiser .
De cette union sacrée deux futurs clercs sont nés
Par un beau matin clair où naissent les huissiers .
Je n'ai pas vécu comme un bandit traqué
Non ! J'étais clerc d'huissier : faut-il le répéter ?
Et pourtant me voilà en terre à Pithiviers
Sous ce toit de cailloux où marchent les huissiers .
À Gaston Bonheur.
extrait 5
À ces dons déjà remarquables
je joins la faculté de double vue
qui rend les plus grands services
à ceux qui m'emploient
Je simule l'épilepsie, la catatonie
et le feu de Saint-Pierre
et peux donner à ce sujet
de précieux renseignements
pour ceux qui veulent sans danger
éviter les tracas du service militaire
À Gaston Bonheur.
extrait 4
Il ne faut pas me demander la ballade
qui n'est pas de mon ressort
ni la saltarelle dont le rythme m'embrouille
Mais pour la polka piquée
Il faudrait chercher loin
pour trouver mon Maître
Je déménage les pianofortes
sans le secours d'autre échine
que la mienne
monte les étages avec deux crapauds
accorde les harpes
démonte et remonte une clarinette basse
confectionne un métronome-jouet
avec huit boîtes d'allumettes suédoises
J'ajoute que ma compétence
s'étend à tous meubles et ustensiles de bois
ainsi qu'aux appareils de ménage non horlogers
…